Les visages de la guerre
Datte: 24/05/2020,
Catégories:
fhhh,
jeunes,
Partouze / Groupe
aventure,
Auteur: Calpurnia, Source: Revebebe
... me proposer en me tirant de mon lit. Pendant tout ce temps, je l’ai écoutée, sidérée par son aplomb, sa culture, la maturité de sa réflexion sur l’ordre mondial, et la richesse des arguments avec laquelle elle m’a décrit ses choix.
Maintenant, nous marchons côte à côte dans la fournaise de Malakal, au milieu d’avenues désertes, en contournant des débris tombés des façades en ruines et les voitures calcinées. Parfois, des ombres se profilent, furtives, fugitives. Deux femmes occidentales, blanches, dans cette ville en ruines : ce n’est probablement pas un événement banal. Les habitants nous observent, mais ils se cachent, se méfient. Peut-être nous considèrent-ils comme des touristes fortunées et perverses, en quête de voyeurisme et de sensations fortes. Le hangar que nous avons repéré sur les photos aériennes n’est plus qu’à un jet de pierre.
Eux aussi nous avaient repérées de loin. Ils nous attendaient dans la torpeur de l’après-midi. Eux : un groupe d’une vingtaine de jeunes hommes condamnés à l’ennui et à la misère. Anciens enfants-soldats, enrôlés de force dans l’une des deux armées, leur régiment les a peut-être abandonnés lorsqu’il n’a plus eu besoin d’eux. Illettrés, ils parlent l’arabe de Djouba, le nuer, le shilluk ou le dinka, et pour certains, quelques mots d’anglais, la langue officielle de leur pays. Le hangar qu’ils occupent est une cour des miracles où s’entasse le maigre butin de leurs pillages. Les habitants de Malakal évitent de s’approcher de ce ...
... lieu qui a été l’épicentre de violences inouïes. Pour avoir vécu le pire, ces garçons sont considérés comme des pestiférés.
Au premier contact, nous trouvons un faisceau de fusils braqués vers nous. Méfiance. Ils fouillent nos sacs et nos vêtements, afin de vérifier que nous ne possédons pas d’armes ni de matériel pour les espionner. Ils ne veulent même pas écouter nos explications, et palpent nos corps à travers nos vêtements. Ils prennent les cigarettes et les boîtes de nourriture qu’ils trouvent – de toute manière, elles leur étaient destinées. Puis ils délibèrent entre eux pour décider s’ils acceptent ou non notre présence. Apparemment, ils n’ont pas de chef susceptible de décider pour l’ensemble du groupe. Les débats durent longtemps, et pendant ce temps, nous sommes tenues sous surveillance d’un des leurs qui nous tient en joue.
L’important est d’éviter de s’énerver, de faire quoi que ce soit qui puisse les provoquer. Leur discussion est houleuse ; nous entendons les palabres ponctués d’éclats de voix. Ils pourraient bien ne pas nous faire confiance et décider de nous fusiller. Auquel cas, je ne les laisserais pas me recouvrir la tête d’un sac ni ne chercherais vainement à fuir : ils devront tirer en me regardant droit dans les yeux. J’essaie de ne pas montrer mon inquiétude à Heidi, qui reste impassible. Enfin, l’un d’eux nous dit en anglais que nous pouvons rester.
Leurs jeunes yeux ont déjà vu plus d’horreurs que tous les vieillards de Suisse réunis – à part ...