1. Les visages de la guerre


    Datte: 24/05/2020, Catégories: fhhh, jeunes, Partouze / Groupe aventure, Auteur: Calpurnia, Source: Revebebe

    — Je veux que ce soit toi qui sois derrière l’objectif. J’aime ton regard.
    — Ton idée est folle, mais je te suivrai jusqu’au bout du monde.
    
    De toute manière, jamais Heidi n’aurait changé d’avis. En disant cela, elle avait son air buté d’adolescente à laquelle la vie n’avait jamais rien refusé. Puis elle s’est détendue et m’a raconté une blague de son invention. Elle poursuivait son rêve, en souriant aux difficultés qu’elle résolvait au fur et à mesure.
    
    Je pense à cette nuit de notre rencontre au moment où l’avion décolle pour nous emporter loin de Genève, ville feutrée de luxe et de paix. Lorsque nous quittons le sol, elle tient ma main fermement. Elle a toujours eu peur de tout ce qui vole. Et pourtant, son projet est autrement plus dangereux que de voyager dans un Airbus confortable qui nous éloigne des terres européennes pour en nous emmener vers une Afrique orientale aux bruits de misère, de famine et de combats sans fin. Sur mon siège, il me semble déjà entendre le son du canon et des bombardements.
    
    Malakal ! Ce nom résonne comme un paradis exotique depuis longtemps perdu ou bien, selon l’humeur, un soleil de midi impitoyable pour nos peaux blanches. En réalité, c’est l’enfer. Son aéroport est à moitié détruit par le conflit armé qui oppose, depuis 2013, les partisans du président Salva Kiir à ceux de rival Riek Machar. L’accord d’Addis-Abeba laisse entrevoir un fragile espoir de paix. Pendant trois jours, nous sommes restées coincées à Djouba, la capitale ...
    ... du Soudan du Sud, à la recherche d’un transport. Un pilote privé a fini par accepter de nous emmener dans cette ville d’un peu plus de cent vingt mille habitants, malgré les risques, pour le prix d’une grosse liasse de billets verts que lui a donnée Heidi. À l’atterrissage, son Cessna hors d’âge et à l’entretien douteux a zigzagué entre les trous d’obus dont la piste était garnie, avant de se signer afin de remercier en même temps Jésus-Christ et les esprits de ses ancêtres de nous avoir sauvés. Puis il a fait le plein de kérosène et il est reparti en hâte, sans même prendre le temps d’une pause à la buvette de l’aéroport. Il nous a souhaité bonne chance, en précisant que nous en aurions bien besoin.
    
    Il est quinze heures. Il me semble qu’on me repasse le corsage que je porte, et la sueur dégouline à grands flots de mon cou jusqu’entre mes seins. Mon sac à dos contient les précieux objectifs qui m’ont accompagnée dans mes barouds tout autour du monde, surtout dans les points chauds. Mon sixième sens du danger m’a toujours préservé du pire. En l’occurrence, je sens mal cette ville de misère où règnent les enfants-soldats que leur gouvernement ne paie que d’une manière irrégulière. Souvent, le droit de violer les femmes leur tient lieu de salaire. Nous marchons dans une rue bordée de maisons dont beaucoup sont amputées d’un étage détruit par les hostilités ; certaines façades d’hôtels qui furent luxueux du temps de la présence des Britanniques se souviennent d’une rafale de ...
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