1. Les visages de la guerre


    Datte: 24/05/2020, Catégories: fhhh, jeunes, Partouze / Groupe aventure, Auteur: Calpurnia, Source: Revebebe

    ... mitrailleuse.
    
    Cependant, Heidi sourit. Il me semble que mon amie ne se sent jamais si bien que dans les lieux maudits. Quand elle m’a exposé son projet, j’en ai lâché mon Leica, heureusement retenu par une sangle autour de mon cou.
    
    Pourtant, ce ne sont pas les zones de guerre qui me font peur. Née avec le Vietnam, inspirée par Nick Ut et sa petite fille sauvée du napalm, j’ai débuté avec la Bosnie, puis enchaîné les images sur les conflits en Irak, Afghanistan, Syrie où les reporters les plus endurcis ne vont qu’entourés d’un luxe de précautions. Mon boîtier reflex est ma seule arme, celle qui ouvre les yeux et bouscule les consciences.
    
    Heidi a usé les jupes plissées, bien sages, de son enfance dorée sur les bancs des écoles privées les plus prestigieuses de son pays. Intelligente et travailleuse, souvent citée en exemple pour l’excellence de ses résultats, elle n’en bouillait pas moins, intérieurement, devant cet avenir tout tracé que ses parents avaient conçu pour elle : hautes études commerciales, reprise de l’entreprise familiale. Le feu de la révolte a couvé longtemps sous les serre-tête et les robes élégantes. Silencieusement. Secrètement. Elle a toujours souri, toujours été polie et respectueuse des convenances protestantes, austères, de son entourage. Jamais un pas de travers ni une seule heure de relâchement. Plus d’un fils de capitaine d’industrie, grand chirurgien ou magnat de la distribution, l’a courtisée avec assiduité, car l’enfant choyée était devenue ...
    ... une jeune fille d’une beauté remarquable, avec un regard lumineux qui subjuguait les cœurs masculins. Ils lui offraient des voitures de luxe, des voyages dans des îles paradisiaques. En vain : elle refusait tous les présents, et son lit demeurait inaccessible.
    
    Seule une jeune réfugiée politique iranienne, Zaleh, était parvenue à l’attendrir. Sans excès de manifestations de tendresse ! Juste deux mains qui s’effleuraient, des regards qui se soutenaient, des sourires échangés, rien de plus. Heidi avait alors seize ans. Elle n’a pas osé briser le tabou familial de la liaison ambiguë située à la frontière de l’amitié et du saphisme. Les deux mondes étaient encore trop éloignés. Cette non-relation amoureuse la marquera profondément.
    
    La nuit précédant la soutenance de son mémoire final, elle a calmement refermé son ordinateur portable, enfilé son manteau et ses bottes – c’était en plein hiver –, saisi son sac à main, a refermé en silence la porte de la vaste maison parentale, puis elle a marché dans la neige qui tombait autour d’elle, sans bruit, sans se retourner, pour venir se présenter à mon modeste appartement. La jeune femme prometteuse de vingt-deux ans a refusé la brillante et lucrative carrière qui était promise, déserté le domicile familial, en laissant derrière elle une lettre pour expliquer ses motivations. Elle avait vu mes photos lors d’une exposition consacrée au photojournalisme, à Genève.
    
    Six mois ont passé, le temps d’affiner le projet qu’elle était venue ...
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