Le noir à la puissance noire
Datte: 24/05/2020,
Catégories:
collection,
nonéro,
confession,
mélo,
portrait,
Auteur: Catherine, Source: Revebebe
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C’était il y a un paquet d’années déjà. Je bossais dans l’ambulance et je trimbalais quasiment tous les samedis une vieille dame – appelons-la Mme Picot – qui avait été frappée dans son enfance par la polio. Oui, vous avez deviné : une existence entière dans un corset et un fauteuil roulant. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai : ce fameux corset était, selon ses dires, la seule chose qui la rendait humaine et qui lui permettait de temps en temps d’aller faire quelques pas – si l’on peut dire – dans son jardin. Pas de famille (elle avait soixante-quinze ans et n’avait jamais eu, on se demande bien pourquoi, de mari ni d’enfants) et, à l’exception de son frère qui avait une bonne dizaine d’années de plus qu’elle et qui était donc – en dehors de moi qui passais la voir de temps à autre lorsque j’avais dix minutes à perdre entre deux courses – quasiment le seul à lui rendre visite.
C’était une femme charmante, toujours souriante malgré son existence, ayant toujours le mot pour rire et une sacrée pratique de l’autodérision et du second degré. À côté de cela, je l’aurais volontiers qualifiée de bigote si sa situation avait été classique : c’est bien connu, on ne croit pas trop en Dieu lorsque tout va bien, mais nettement davantage lorsque les emmerdements – et elle en avait eu sa dose – tapent à la porte. S’il pouvait subitement nous prouver qu’il existe, ce con-là !
Toujours est-il que les années passant, les transports se raréfient jusqu’à totalement ...
... disparaître. Moi, de mon côté, les conditions de travail deviennent telles qu’il m’est totalement impossible de trouver deux minutes pour aller la voir.
Or, lors d’un de ces après-midi où l’on nous demande de faire une quantité industrielle de transferts dans un laps de temps ridicule, où l’on se retrouve à trimbaler les malades dans des conditions inhumaines – n’ayons pas peur des mots – je recroise le chemin de cette pauvre Mme Picot. Malgré ses réclamations –le corps ne va pas fort mais le citron fonctionne très bien – on lui a retiré son corset et l’on n’a même pas cru bon la recouvrir d’un drap. Je fais remarquer que la laisser ainsi nue n’est pas très correct ; on m’envoie chier. J’essaie de contacter son frère ; il est décédé. Les rares amis ont disparu ; il est vrai qu’ils ne sont généralement bien que lorsque tout va bien.
Dans quelle maison de retraite sera-t-elle transférée par la suite ? Je ne suis pas de la famille ; on m’envoie chier. Bref, cette femme exceptionnelle, ce monument de gentillesse et de dévouement, est décédée alors qu’elle avait encore toute sa tête sans que personne – à commencer par moi – n’ait jamais pu lui rendre visite.
À l’heure où j’écris ces lignes, j’en ai encore le cœur serré.
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C’était la fille d’une amie ; elle avait vingt ans, mignonne, un beau diplôme en poche. Comme souvent elle avait galéré pour trouver du taf jusqu’à ce qu’un beau matin on lui propose de devenir responsable d’un magasin de surgelés, ce qui ...