La mangeuse d'enfant
Datte: 08/03/2020,
Catégories:
nonéro,
contes,
Auteur: Jean Balun, Source: Revebebe
... raisins, figues, melons, pastèques, des animaux entiers mis en broche, des basse-cours décimées, des gâteaux au miel enfin, furent offerts à leur voracité. Le tout arrosé de jus de fruits, d’eau de rose et de l’inévitable thé à la menthe, sucré et brûlant, servi en longs jets fumants par des serviteurs habiles et enjoués. Des groupes de musiciens se succédèrent pour jouer de longues ballades ou des noubas incitant à la danse.
Une fantasia d’anthologie vit des dizaines de guerriers filant au triple galop sur ces fabuleux chevaux arabes, parcourant la lice en poussant des cris martiaux, brandissant leur mousquet qu’ils déchargèrent tous ensemble vers le ciel, dans un bruit de tonnerre, en hommage au nouveau-né.
Un feu d’artifice aux milles couleurs clôtura la fête en apothéose.
Rien n’était trop beau, rien n’était trop bon pour fêter la venue au monde de cet héritier tant attendu.
Ce déploiement d’apparat eut pour effet de paniquer les trois autres épouses. La cadette allait sûrement devenir la favorite. Elles se voyaient déjà reléguées au second rang, leur maître et amant allait peut-être même les négliger. Qu’adviendrait-il d’elles et de leurs filles ? Seraient-elles répudiées, elles, dont le ventre était stérile* ?
Il fallait faire quelque chose, et vite ! Voici le plan machiavélique qu’elles mirent au point.
L’enfant serait enlevé à la mère et donné à un couple en mal d’enfant d’un douar éloigné qui l’adopterait contre une forte somme et le serment du ...
... secret absolu ; la colère du pacha serait terrible, si jamais il savait !
Un narcotique fut versé dans la boisson de la mère. Durant la nuit, elles prirent le nourrisson et barbouillèrent de sang le visage et la poitrine d’Anna.
À son réveil, celle-ci se vit couverte de sang et poussa un hurlement de terreur qui ameuta toute la maisonnée.
Les trois comparses arrivèrent en courant et crièrent, les bras au ciel :
— Allah tout puissant, elle a dévoré son propre enfant !
Hagarde, Anna ne comprenait pas d’où venait tout ce sang. Elle n’avait aucun souvenir depuis la veille. Était-il possible qu’elle eût pu commettre pareille ignominie ?
La colère de Bachir fut terrible :
— Chienne, tu mérites mille fois la mort, mais le trépas, aussi cruel soit-il, serait trop bref pour venger ton crime. Ce n’est donc pas par clémence, Allah m’en est témoin, que je te laisse la vie sauve. À partir de maintenant tu vivras comme la bête que tu es. Attachée au piquet, tu mangeras, boiras, dormiras avec elles. Puisses-tu vivre ainsi cent ans !
Ses beaux cheveux furent rasés, ses vêtements mis en lambeaux, sa peau noircie avec du charbon de bois. Elle fut enfin attachée dans la cour avec les chiens. Anéantie, Anna ne pensa pas une seconde à se défendre ou à se rebeller.
Seize années passèrent. Anna était toujours traitée comme un fauve. Ses cheveux avaient repoussé et atteignaient maintenant ses chevilles, emmêlés, pleins de brindilles et de parasites. Si, de temps à autres, on ...