1. La mangeuse d'enfant


    Datte: 08/03/2020, Catégories: nonéro, contes, Auteur: Jean Balun, Source: Revebebe

    Dans les campagnes du Maroc, les grand-mères racontent des histoires dont l’origine se perd dans la nuit des temps, souvent basées sur des faits réels, mais enjolivées par la légende. En voici une, librement adaptée.
    
    Bachir parcourut du regard les champs de blé qui ondulaient sous la brise. Des champs qui dépassaient les limites de l’horizon. La moisson était proche, la récolte serait bonne,inch’allah. Bachir était content.
    
    Bachir regarda au loin les premiers contreforts de l’Atlas où paissaient ses troupeaux de chèvres et de moutons. Les marchands étaient friands de ces bêtes à la viande savoureuse et aux peaux prisées par les tanneurs. Bachir était satisfait.
    
    Bachir se retourna et contempla sa ferme, grande, bâtie en carré, de pierre et d’argile, comme de coutume dans la région. Les écuries hébergeaient de superbes pur-sang arabes destinés aux fantasias et des chevaux de trait, ses étables des vaches laitières. Un verger entourait le bâtiment, où poussaient en abondance agrumes, figues et quantités d’autres fruits. Un bouquet de palmiers et quelques arpents de vigne fourniraient dattes et raisins au début de l’automne. Bachir ne put réprimer un sourire.
    
    C’était lepacha, un homme riche et puissant qui venait de signer un pacte avec le puissant maître de Marrakech, le mettant ainsi à l’abri des razzias des tribus du désert.
    
    Riche, beau, vigoureux, dans la fleur de l’âge, il avait tout pour être heureux, mais ne l’était pas.
    
    Bachir avait épousé quatre ...
    ... femmes, comme la religion l’y autorisait. Toutes belles, douces et intelligentes : Khadija, fière et jalouse de son statut de première épouse, Aïcha, la seconde, enjouée et douée pour les travaux d’aiguille, Farida, la troisième, aussi experte en pâtisserie que, disait-on, sous les draps et enfin Anna, la dernière épousée, fluette, mais à l’intelligence vive, jamais avare de sages conseils.
    
    Le bonheur du pacha eût été parfait si Allah lui avait donné un héritier, mais ses femmes n’avaient enfanté que des filles.
    
    Il convoqua la cadette, enceinte de son second enfant, et lui tint ce discours :
    
    — Anna, ton ventre est plein depuis maintenant six lunes, retourne chez tes parents et n’en reviens qu’avec un garçon. Sinon considère-toi comme répudiée ! Emmène ta fille avec toi !
    
    En pleurs, mais soumise, elle alla trouver refuge dans sa famille où elle accoucha d’un garçonnet en pleine santé, si ce n’était une curieuse malformation : une phalange manquait à l’auriculaire de la main gauche. Non pas comme un membre amputé, car un ongle ornait le doigt anormalement court.
    
    Le pacha, fou de joie d’être enfin père d’un enfant mâle, ne se formalisa pas de ce petit détail, peu lui importait qu’il lui manquât même un bras, pourvu que ce qui ballotait entre les jambes fût au complet !
    
    Il organisa une fête somptueuse dont on parlerait encore des lustres plus tard. Un festin fut donné où tous furent conviés, riches et manants, mendiants et voyageurs. Des montagnes de fruits, oranges, ...
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