L'enfant maudit
Datte: 14/02/2020,
Catégories:
nonéro,
mélo,
Auteur: Vivien, Source: Revebebe
... manière comique. L’enfant comprit alors que l’objet n’était pas du tout de même facture que l’autre, qu’aucune figure hideuse n’y logeait, et qu’il n’avait rien à redouter.
Cependant, son compagnon s’en était allé, non sans lui avoir adressé un signe rassurant de la main. L’enfant resta seul. Il contempla tout autour de lui avec des yeux éblouis. Il mit pied sur le plancher, bondit jusqu’à la fenêtre, la franchit et se retrouva sur une grande terrasse semée de cailloux. L’air du dehors entrait dans ses poumons, un vent délicieux lui fouettait le visage, il avait envie de sauter partout, tant il était léger et joyeux. Il revint dans la chambre et avisa l’armoire au centre de laquelle était l’objet transparent.
Tout à coup, son cerveau lui représenta une idée qui, d’abord informe, s’était précisée peu à peu sans qu’il s’en fût vraiment rendu compte. Il songea à son compagnon dont l’image dans l’armoire lui avait adressé des grimaces si rigolotes. Il se dit que s’il se plaçait exactement là où celui-ci s’était placé, il se verrait lui-même, comme il avait vu la bête noire se copier dans l’autre objet transparent. Il était trop plein de confiance et d’allégresse pour songer à l’infernale vision qui l’avait tant épouvanté. Tout joyeux, il se traîna jusqu’à l’objet translucide et regarda dedans.
Dehors, Benjamin, dix-sept ans, ramassait des fraises au jardin. Il allait les préparer pour les donner à manger son jeune frère. Ce frère était difforme de naissance. On n’en ...
... parlait jamais. Sujet tabou. Une nuit, Benjamin avait transgressé les ordres de ses parents de ne jamais chercher à voir celui qu’ils appelaient l’enfant maudit. Il déroba les clefs de la porte secrète par laquelle on accédait sa cellule, entra, distingua une ombre qui tremblait sur sa couche, dirigea sa lampe vers elle, constata sa difformité et là où tous avaient poussé des cris d’horreur, lui sentit chavirer son âme sous un souffle de tendresse infinie.
Il décida alors de le soustraire à l’innommable souille où il croupissait depuis douze ans. Ce frère hideux était devenu pour lui le plus beau des enfants. Il l’aimait, et rien eu monde n’aurait pu le dissuader de lui faire l’oblation ce que ses parents lui avaient refusé, son cœur. C’est à cela qu’il songeait en collectant les fraises. Avec du sucre et de la crème Chantilly, il ferait bien plaisir à ce petit être solitaire et délaissé qui inspirait tant de répugnance à tout le monde. Et puis, il le mènerait à l’étang qui était dans la propriété, il jouerait avec lui, il lui apprendrait à parler, à se tenir sur ses deux jambes ; il lui apprendrait aussi à regarder les étoiles, à écouter le silence de la nuit, à…
En cet instant, il se dressa debout, comme frappé d’apoplexie. À voix haute, il se dit :
– Mon Dieu, et s’il allait se regarder dans la glace de l’armoire…
Il avait à peine prononcé ces paroles qu’un hurlement déchira le silence de ce matin ensoleillé. Le hurlement provenait de la terrasse du troisième ...