Missouri moi aussi
Datte: 06/01/2020,
Catégories:
amour,
photofilm,
nonéro,
Auteur: Claude Pessac, Source: Revebebe
... règne une atmosphère étrange dans ce paysage étonnant. La nature y est trop calme, comme assommée par la chaleur moite. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas traversé une ville ou simplement un village digne de ce nom. De temps à autre, une boîte aux lettres rouillée nous signale la présence d’une maison, cachée quelque part dans ce bush peu accueillant.
Quoi le bush ?
Quoi ? Qu’est qui ne colle pas ? Allez-y, ça suffit maintenant, je vous entends bien râler depuis un moment !
Comment ? Un voyou ne parle pas comme çà ! Mon vocabulaire est trop riche, ce n’est pas crédible, il y a erreur, mystification, je ne suis qu’un petit bourgeois qui s’encanaille et joue les durs ?
Hey ! Stop !
Faut pas se fier aux apparences ! Je vous l’ai déjà dit !
Alors comme ça, sous prétexte que je bossais pour un mafioso, vous me prenez pour une petite frappe, un malfrat demeuré, sans éducation, inculte et basique ? Mais vous avez tout faux !
Je ne suis pas un voyou !
Je vous l’ai dit, mon putain de pied bot m’a valu une enfance solitaire. Je n’ai pas fait les quatre cents coups avec les mômes de mon quartier. Moi, je les ai fait avec Huckleberry Finn, sur les rives du Mississipi, dans les Caraïbes, sur le Bounty, et j’ai piégé le grizzly, et pisté les Comanches avec Davy Crockett ! J’ai même bien connu les tours de Notre-Dame avec mon grand frère Quasimodo ! Oui, un roman français, Victor Hugo, "Notre-Dame de Paris" : je l’ai lu, j’avais neuf ans. Et autant vous dire ...
... que le personnage du boiteux-bossu-difforme m’a beaucoup plu ! Presqu’autant que la pulpeuse bohémienne ! Paris ! J’ai arpenté les rues de Paris, derrière Phoebus et Esméralda, à neuf ans, un âge où la plupart de mes copains de classe ne savait même pas situer la France sur le globe, si tant est qu’ils le sachent maintenant !
Eh oui, j’ai passé ma jeunesse, le nez dans les bouquins. La bibliothèque de mon quartier, j’en ai exploré les moindres recoins, toutes les étagères. C’est là que je me suis formé, que j’ai acquis mes connaissances, ma culture, que j’ai étanché ma soif de savoir, là que j’ai appris à aimer les mots. Sûr que c’est pas auprès de ma mère, toujours entre deux bouteilles, que j’aurai pu m’instruire …
Sachez aussi que je n’ai jamais été porte-flingue pour Certini. J’étais son chauffeur. Je suis même devenu peu à peu son secrétaire et confident, il m’avait pris sous son aile. Au début, il m’appelait "Chueppé", ce qui dans son patois d’Italie du Nord signifie "boiteux". Rien de très original ou gratifiant. Et puis le vieux a découvert ma passion pour la lecture, pour les mots, pour les Sciences, le Droit, etc. Du coup, il m’a rebaptisé "Professore" ou même "Dottore" et m’a accordé son respect. Ça vous en bouche un coin, non !
Bingo !
Mais là encore, pas de méprise, du respect, je n’en ai pas pour lui. Du moins, je n’en ai plus, depuis qu’il a cédé aux sirènes de l’argent trop sale. Tant qu’il se contentait de contrôler les boutiques de Little Italy ...