Vraimodo
Datte: 28/12/2019,
Catégories:
fh,
amour,
Auteur: Guust, Source: Revebebe
... noient sous les éloges. Yolande semble nerveuse, inquiète, se penchant fréquemment vers Brigitte pour lui parler, causant – j’en ai l’impression – une certaine irritation chez celle-ci. Il me semble être la cause de cette nervosité, car à chaque fois Brigitte me jette des regards furtifs mais presque courroucés, style : « t’es encore là, toi ? ».
Je me décide à m’approcher, et lance gentiment mes félicitations aux artistes. La jeune femme aveugle me sourit, alors que sa sœur remercie poliment mais, confirmant mon impression, semble embarrassée par ma présence. Les gens me regardent bizarrement. On me fait de la place, non par courtoisie, mais par crainte sans doute, comme si je trimbalais toutes les maladies contagieuses de la terre. J’en ai l’habitude. Les gens ne m’aiment pas. Ils me croient méchant, infréquentable.
Yolande n’en a cure. Normal, elle ne voit rien. Comment pourrais-je l’effrayer ? Comment pourrait-elle fuir une laideur qu’elle ne perçoit sans doute que par les réactions des autres à mon égard ? Une fois de plus, sa main se pose sur mon bras.
— C’est gentil d’être venu, me dit-elle à voix basse tandis que ses doigts se serrent autour de la manche de ma veste.
— C’était merveilleux. Un plaisir de tous les instants.
— Vous êtes indulgent.
— Je n’exagère pas. J’ai adoré ce concert.
— Vous aimez la musique, je le sais. Vous avez une voix musicale.
— Ah ?
— Vous chantez ?
— Chanter ?
— Oui, chantez-vous, parfois ?
La question m’amuse.
— Oh ! ...
... Sous la douche, oui ! dis-je en riant.
— Et ailleurs ?
— Pas vraiment, non…
Brigitte tire Yolande par la manche.
— Il est temps d’y aller.
— Oui, soupire Yolande.
— Excusez-nous, s’excuse Brigitte.
Elle sourit timidement. Calmée, semble-t-il. Elle n’a plus l’air de m’en vouloir. Après de nouveaux remerciements, elles quittent les lieux. Il y a une réception, un repas avec quelques sommités, et je n’y suis bien sûr pas convié. Au moment de s’en aller, Yolande s’approche de moi, ses mains effleurent mes coudes, puis les revers de ma veste. Je la vois qui inspire, comme pour emmener un peu de mon odeur quelque part dans sa mémoire, puis elle s’écarte.
— À bientôt, Gaston, dit-elle avant de s’éloigner, la main sur le bras de Brigitte.
Elle sait que je m’appelle Gaston. Depuis quand ? Le lui ai-je dit ? Je ne m’en rappelle pas. Elle a dû le savoir par sa sœur, à l’hôpital, quand elles sont venues me voir. Enfin, me voir… Me rendre visite, quoi ! Quand on sauve la peau de quelqu’un, on est sans doute autorisé à connaître son nom.
Je n’ai plus qu’à rentrer chez moi, par les rues vides, les pieds dans les feuilles mortes. Ou par les rues mortes, les pieds dans les feuilles vides. Je sais que ça ne veut rien dire, mais je m’en balance. Les quelques instants que je viens de vivre resteront gravés dans ma mémoire. La présence touchante de Yolande, l’indifférence agacée de Brigitte, la musique… J’ai le temps de penser à tout ça en rentrant chez moi, tranquillement, ...