La forêt - Histoires de Sexe

La forêt

... peux passer la nuit ici, je ne te ferai pas de mal, je te l’assure, demain je reprendrai le chemin vers l’ouest, vers l’océan.— Je doute que vous me fassiez plus de mal que j’en ai déjà subi, répond-elle avec froideur. Elle semble perdue dans ses pensées, puis reprend, l’océan ? Eh bien, c’est un long chemin qui vous attend.Les flammes, elles dansent sur son visage.— Où te rends-tu ?— À Karr, elle se lèche les doigts, goûtant encore la graisse de la viande. Doigts sales. Ongles sales.— Karr ? Mais c’est à des milles et des milles au nord, tu fais fausse route !— Que dites-vous là ? C’est vous qui vous trompez, je ne suis qu’à deux jours de marche, l’océan en revanche est bien loin d’ici !Son regard noir luit derrière les flammes, la voilà qui pointe du doigt le sud.— C’est par là.— Sais-tu que je viens de Karr ? Je connais bien cette région et par Lazarre, nous en sommes fort loin !J’essaie de me souvenir de Kewell. Nous avions traversé ce village quelques mois après avoir quitté Karr, la belle cité du grand Nord, lors de la seconde campagne, avant d’entamer notre marche vers les plaines d’Angst. Je frémis, si je devais revenir à Kewell ou ce qu’il en reste aujourd’hui, il me faudrait au moins… Je ne sais même pas, c’est trop loin.— Depuis combien de temps as-tu quitté Kewell ?— Quatre jours, Monseigneur.— C’est impossible !— C’est pourtant la vérité !La pauvre fille divague, c’est certain. La raison s’en est allée de son esprit après les violences subies, peut-être même ...

... était-elle démente avant. Depuis combien de temps erre-t-elle ainsi ? Il n’y a qu’à la regarder pour deviner que cela fait bien longtemps.— Et que vas-tu donc faire à Karr ? J’ai du mal à réprimer un sourire en prononçant ce nom qui n’évoque plus pour moi qu’une autre vie dont je suis étranger.— Il faut bien aller quelque part maintenant, on dit qu’il y a du travail là-bas, de quoi manger et dormir en paix et puis j’ai toujours voulu aller dans une grande cité du royaume. À Kewell, il n’y avait rien à faire, juste battre la terre en attendant les pillages et maintenant… maintenant il n’y a plus rien.Que devrais-je lui dire ? Qu’elle fait fausse route, qu’elle a perdu la raison, que les chemins ne sont pas sûrs, qu’elle n’arrivera certainement jamais vivante là-bas et que même si par miracle elle y parvenait, le seul travail qu’elle pourrait trouver la conduirait sur les rives des bas-fonds à vendre ses maigres charmes pour quelques piécettes.À quoi cela servirait-il ?— Crois-tu en l’Unique ?Elle me jette un regard plein de morgue et crache sur le sol.— Pour rien au monde, ni en votre chien ni en celui de vos ennemis.L’hérésie est de taille, la sauvageonne n’a plus peur de rien, elle a le défi des désespérés qu’elle érige comme un bouclier. Quelques jours auparavant, je l’aurais tuée sur le champ, mais les temps ont changé. Il est inutile de poursuivre. Quand bien même j’en aurais l’envie, ce serait vain. Pourtant, combien d’âmes contraintes ai-je converti ? Je ne saurais le dire. ...