1. La mangeuse d'hommes


    Datte: 07/11/2019, Catégories: fh, bain, campagne, amour, lettre, historique, lettres, historiqu, Auteur: Asymptote, Source: Revebebe

    ... dimanche, sortant au bras de ton père, tu m’aperçus et pouffas, ce qui me fit rougir comme un adolescent surpris en flagrant délit d’espionnage, collé au trou de la serrure en vue d’épier la toilette de sa grande sœur.
    
    Advint le jour de la fête communale ; t’en rends-tu compte, il n’y a que sept mois qui font une éternité au cours de laquelle notre monde a basculé. En ces débuts de mai, le printemps explosait déjà dans tout son éclat. Pendant la crémation rituelle du grand sapin, je me suis faufilé juste derrière toi et me suis penché sur ta nuque jusqu’à l’effleurer. Je me suis grisé de la vision des mèches rebelles frisottant dans ton cou ainsi que du magique parfum de tilleul que tu exhalais et qui se mêlait aux arômes résineux. Tu tenais Hortense, ta cousine, par la main et je mourais d’envie de prendre sa place.
    
    Lorsque la foule s’est retirée dans la vaste grange aménagée en salle de bal, je vous ai suivies, totalement enivré par tes effluves. Tu semblais ne pas m’avoir remarqué et t’es mise à virevolter avec elle. Le tourbillon qui vous emportait me fascinait et je n’aurais pas été plus étourdi si vous m’aviez entraîné dans votre sarabande. Je voyais ton corps cambré, ta gorge fièrement tendue tandis que tu t’abandonnais en arrière et que les volants affolants de ta robe se relevaient sur ta jambe, découvrant cette cheville qui m’avait tant fait fantasmer.
    
    De tes yeux anxieux, tu balayais la salle, sollicitant son admiration, te rassasiant des applaudissements ...
    ... du public au rang duquel je figurais, espérant que tu m’accordes un regard plus appuyé. J’étais à dix mètres de vous et bientôt tu me décochas tantôt des œillades provocantes, tantôt des grimaces peu engageantes qui me firent vibrer entre bonheur et désespoir au rythme de leur alternance. Étais-je sot de ne pas percevoir que les unes ainsi que les autres témoignaient de l’attention que tu me portais et me réservaient une place de choix !
    
    Quand les danses échevelées ont cédé la place à de plus calmes, tout effarouché par mes atermoiements, je t’ai approchée et d’une voix blanche t’ai invitée. Le rire qui te secouait s’est dès lors transformé en tempête comme si cette demande avait concentré d’absurdes extravagances. Dépité et humilié j’ai, sans davantage insister, battu en retraite et me suis caché dans l’ombre d’un coin de la salle. J’ai continué à te surveiller, tandis que toi, affreuse coquine, faisais semblant de l’ignorer. Dans le dessein de m’achever, tu as accroché tes lèvres à celles de ta cousine et, brièvement, follement, tu l’as embrassée. La malheureuse a pâli, tu as rougi, et toutes deux vous vous êtes encore esclaffées. Après cet affront, j’ai quitté le bal, ruminant ma déception, et chaque pas qui m’éloignait de toi était lourd de regret et m’engageait à revenir, suppliant. Plus tard tu m’as avoué ne pas savoir quelle perversité t’avait guidée ce soir, que tu n’avais qu’une envie : celle que je conduise tes pas dans une ronde infernale qui t’aurait épuisée au ...
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