1. La mangeuse d'hommes


    Datte: 07/11/2019, Catégories: fh, bain, campagne, amour, lettre, historique, lettres, historiqu, Auteur: Asymptote, Source: Revebebe

    ... t’es pas retournée, et j’ai suivi aussi loin que j’ai pu ta forme blanche dansant au travers l’or des champs.
    
    Effondré, je suis remonté chez moi pour exhumer cette feuille de route qui m’a appris que je devais rejoindre Dijon sans retard. […]
    
    […] Je sens, nous sentons tous, qu’une offensive déterminante se prépare. Tu me connais : je ne suis pas belliciste, mais suis prêt à faire ce qu’il faudra, et s’il faut tuer je tuerai dans le but d’arracher cette colline qui répond au nom barbare de Hartmannswillerkopf (1) aux Allemands. Elle constitue un extraordinaire observatoire sur les plaines de la grasse Alsace, et de son sommet on perçoit la lointaine Forêt-Noire et les Alpes par temps clair. L’ennemi ne nous attend pas, et notre 75 – la meilleure pièce d’artillerie du monde – fera encore merveille (merveille… qu’est-ce qui me prend d’écrire de telles énormités ?). Bref, je suis persuadé que cette conquête sera moins difficile que ne le fut la tienne.
    
    Cette dernière était, avant ces jours, bien trop récente pour que j’éprouve le besoin de la reléguer au rang des souvenirs. Il est vrai qu’au cours de notre brève fréquentation nous avons accordé plus de temps à envisager l’avenir qu’à nous remémorer des évènements à peine échus. Dans nos trous, les minutes se distendent jusqu’à s’éterniser, et tout ce qui relève du passé reflue très rapidement. Permets donc qu’à présent, du fond de cette ignoble tranchée, je me réchauffe le cœur et le bout des doigts en te narrant toutes ...
    ... les perplexités que, depuis fort longtemps, tu m’avais inspirées.
    
    Dès la fin de tes études primaires, j’avais repéré cette flamboyante gamine blonde dépassant d’une tête ses compagnes et qui illuminait la cour un peu austère et grise de notre école. Je n’étais à cette époque que le plus jeune instituteur nouvellement nommé, et maintes fois tu avais déjà égayé mes pensées alors que je surveillais votre récréation. J’avoue avoir dès lors rêvassé à la somptueuse floraison de ce prometteur bourgeon. Rassure-toi, ce fut en toute honnêteté et cela se borna à une pure et légitime admiration. Tu as ensuite disparu de longues années, la durée nécessaire à passer le brevet supérieur, faire ton apprentissage et mener tes premières expériences professionnelles.
    
    De courtes apparitions te ramenaient au village et je t’y ai finalement retrouvée derrière le comptoir de l’officine familiale. Je t’ai immédiatement reconnue et ai constaté avec plaisir que la Nature avait tenu ses engagements. Oserais-je concéder que moi qui n’admettais d’autre médication que celle du temps qui guérit bien des plaies, je devins adepte d’une multitude de tisanes, d’élixirs et de baumes dont il me fallut reconnaître la capacité salvatrice dès que c’était toi qui me les délivrais ? Je m’inventais toutes sortes de maux de gorge dans l’unique but de venir lorgner la tienne. Je tins avec détermination le rôle de malade imaginaire, ce qui me permit de tester les compétences de ce préparateur en pharmacie, qui de ...
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