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Le club des désespérés
Datte: 23/11/2025, Catégories: #société, #romantisme, #lieuderencontre, fh, gros(ses), hotel, amour, Auteur: Amateur de Blues, Source: Revebebe
Ils sont deux, assis face à face de chaque côté d’une table, dans la grande salle du café. Ils sont silencieux au milieu du brouhaha général et chacun d’eux regarde une petite fiche posée devant lui sur la table. Les fiches sont les mêmes et ils lisent attentivement. Elle est petite et grosse, son corps caché dans une tunique outrageusement bariolée. Si elle souriait, peut-être, mais elle ne sourit pas. Un pli de concentration marque son front, comme si cette lecture était un effort intense. Ses mains, aux ongles coupés courts, sont posées à plat sur la table. Elle a dû essayer de faire un chignon avec ses cheveux fins, mais ils n’en font qu’à leur tête et dégringolent de-ci de-là autour de son visage. Elle a une trentaine d’années. Lui est grand, mince, presque maigre, mal rasé. Il est plus vieux quelle, mais peut-être pas tant que cela. C’est dur de lui donner un âge. Il porte un costume sur une chemise blanche, une cravate. Mais le col de la chemise est gris de crasse et des gouttes de sueur perlent à son front, comme s’il était malade. Il garde les mains dans les poches de sa veste. Il se tient curieusement, sur le bord de sa chaise. On dirait qu’il a déjà envie de partir. Je suis l’un des deux personnages, mais dire « je » est au-dessus de mes forces. Il faudrait alors que je dise aussi ce que je ressens et c’est beaucoup trop compliqué pour moi, dans l’état où je suis. C’est moi qui porte la cravate. Le dernier cadeau de ma femme, il y a longtemps ...
... maintenant. Sur la fiche on peut lire : La première, elle lève les yeux, regarde la personne assise en face d’elle et tente d’inspirer une bouffée d’air avant de se lancer. — Je m’appelle Sofia. Ce n’est pas mon vrai nom, mais c’est celui que je me suis donné. À un moment de ma vie, j’ai décidé de choisir ce qui allait m’arriver. Je voulais tracer ma route, être celle que je voulais être, fixer mon destin. Bien sûr, je me trompais lourdement, mais, si on n’a pas ce désir-là quand on est jeune, on ne l’a jamais, n’est-ce pas ? Je suis une poétesse, c’est-à-dire quelqu’une qui met des mots sur des sensations, c’est-à-dire quelqu’une qui dit aux autres ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre, ou peut-être ils voudraient, mais ils sont trop occupés. Vous vous demandez peut-être si « poétesse » permet de gagner sa vie, comme on dit, c’est-à-dire la perdre en fait. Je vous réponds tout de suite que non, bien sûr que non. J’ai exercé toutes sortes de métiers alimentaires au cours de ces dernières années, dans des bureaux, des usines, des entrepôts et même un abattoir, mais ces métiers ne me laissaient pas le temps d’écrire. Si on veut être poétesse, si on le veut vraiment, alors il faut écrire tout le temps. Il faut lire beaucoup aussi. Je n’ai donc pas d’argent. Je paye pour publier mes poèmes, vous voyez comme le monde est méchant. Je dois payer pour essayer de réparer le monde. Pour manger et le reste, il y a la charité. C’est bien la charité. Cela permet aux poètes de vivre. Une ...