Les Parques 1/8
Datte: 30/08/2019,
Catégories:
f,
fépilée,
policier,
Auteur: Claude Pessac, Source: Revebebe
... et il sut qu’il avait eu raison. Il disposait de plus d’espace désormais et entreprit de se débarrasser de son bâillon. Mal lui en prit : les nœuds, mouillés, ne s’ouvraient pas ; ses bras coincés par les parois ne remontaient pas assez haut sur sa nuque pour être habiles. Dans ses efforts désordonnés, il se cogna fortement le front contre la planche : il ne s’était pas suffisamment reculé. Mais dans ce noir absolu, comment estimer les distances ?
Abandonnant l’espoir de se défaire du bâillon, Maître Aubert de Veillefonds reprit sa reptation. La manœuvre était à peine plus aisée, sur les coudes et les genoux ; son dos se râpait régulièrement contre la voûte pierreuse. À chaque mouvement, il tâtait d’abord le sol avec ses orteils, craignant le contact dégoûtant d’un cadavre d’un rat plus ou moins décomposé, de colonies d’insectes grouillants, des pierres coupantes ou, pire, d’une grille obturant le passage. Bien que nu dans cette atmosphère froide, il transpirait, s’épuisait.
Le plus oppressant était ce noir absolu, ses yeux totalement aveugles bien qu’écarquillés ! Cette obscurité définitive l’angoissait et lui interdisait de mesurer les efforts accomplis, la distance parcourue. Et le silence ! Pesant, total, assourdissant, comme si la noirceur du lieu absorbait jusqu’aux sons. Même sa respiration était presque inaudible, étouffée par le tissu en travers de sa bouche et qui lui remontait aux narines. Veillefonds ne percevait vraiment qu’un son, un seul : celui des ...
... battements de son cœur affolé qui lui tambourinait aux tempes. Par moments, sous l’effort et l’angoisse, la tête lui tournait. Avec la boule dans la bouche, il avait du mal à respirer et ne pouvait déglutir correctement.
Combien de temps cet angoissant voyage dura-t-il ? Quelle distance parcourut-il dans le goulet rectiligne ? Il aurait été bien incapable de l’estimer. Les genoux, les coudes, les avant-bras râpés, écorchés, meurtris, le faisaient souffrir. Cinq fois, dix fois, vingt fois il s’était arrêté, au bord du découragement, désespérant d’atteindre jamais l’extrémité du tube. Ou pire, de buter sur une autre grille.
* * *
Soudain, ses pieds sentent le vide, le bout du tunnel. Du bout des orteils, Veillefonds essaye de tâter son environnement. Le tuyau débouche du mur sans qu’il puisse trouver le sol. Où se situe le trou ? Et c’est quoi, ce vide ? C’est quoi ? Un puits, dans lequel il se noiera, englouti par une eau croupie et glacée ? Un trou, sec et pierreux, haut comme une cathédrale au fond duquel il s’écrasera, lamentable et démantibulé ? Un autre conduit, incliné, sinueux et glissant, toboggan de la mort, dans lequel il sera brinqueballé en tous sens avant d’être catapulté dans une grotte hérissée de stalagmites où il s’embrochera, s’empalera ?
Doucement, précautionneusement, Veillefonds continue à reculer, plaçant ses genoux au bord du précipice. Étendant alors une jambe, il tente de sonder le vide, espérant, sans y croire vraiment, finir par trouver un sol ...