1. On ira tous au paradis mêm' moi


    Datte: 22/08/2019, Catégories: nonéro, mélo, Auteur: Patrick R. D., Source: Revebebe

    ... pourrai oublier le regard de ma mère quand je suis arrivée devant l’arbre. Elle était heureuse. En fait, non, mieux que ça, je crois qu’elle jubilait.
    
    — Tu as été méchante. Voilà ce qui arrive quand on est une mauvaise fille.
    
    Pire que les mots, je crois que c’était le ton sur lequel ils étaient prononcés. C’était froid, lent, chaque mot m’était lancé à la figure telle une gifle. J’aurais préféré qu’elle me tape. Mais ça, jamais elle ne le fera. Jamais. Ces mots étaient ses seules armes, et ils me faisaient plus de mal que la plus violente des gifles.
    
    — Petite traînée ! Va te doucher avant de prendre ton petit déjeuner.
    
    Je n’ai pas pleuré. Je crois qu’avant ce jour je pensais déjà que ma mère ne m’aimait pas. Ce jour-là j’en fus convaincue, même si je ne savais pas pourquoi.
    
    Sa dernière insulte, la pire, je ne la compris que bien plus tard. À huit ans, je ne savais heureusement pas ce qu’était une traînée. J’eus par la suite de nombreuses occasions de le comprendre.
    
    À cet âge, je ne comprenais qu’une chose, je n’étais pas digne de ma mère. Je devais donc faire mieux pour enfin un jour lui faire plaisir.
    
    Il s’écoula des mois avant que ma mère ne soit à nouveau aussi dure. Le reste du temps, elle se contentait de me faire comprendre que je n’étais pas assez bien pour elle. C’était devenu normal pour moi. Elle avait raison, je n’étais pas assez bien. Pas assez bien pour elle.
    
    C’était évident pour moi. J’ai toujours eu en moi le sentiment d’être médiocre. ...
    ... J’étais une incapable.
    
    Ensuite, je me souviens surtout de mon entrée au collège. Elle m’avait inscrite dans le plus réputé des collèges privés de la région. Bien sûr, celui-ci se trouvait à cinquante kilomètres de la maison, et je me retrouvais en internat. Elle, qui ne voulait pas dépenser d’argent pour rien, payait très cher pour avoir le plaisir de ne pas me voir de la semaine.
    
    Ce qui, au début, était une punition, devint une des plus belles choses qui me soient arrivées. C’est probablement ce qui m’a sauvé la vie une première fois.
    
    Car, à onze ans, l’été précédant la rentrée en sixième, je pensais pour la première fois au suicide. À ce moment, dans ma tête, je ne prononçais jamais le mot suicide. Mais je me disais que disparaître serait le plus beau cadeau que je pourrais faire à ma mère. Sans moi, elle serait enfin heureuse, je n’en doutais pas. C’était si évident. Ma mère était malheureuse et j’étais une mauvaise fille. Sans moi, elle serait libre.
    
    Si je pensais à mourir, c’est que, aussi étrange que cela puisse paraître, je l’aimais. C’était ma mère, n’est-ce pas normal d’aimer sa mère ? Au fond de moi, à cet âge, j’étais convaincue de devoir changer pour enfin lui plaire. Mais comment ? J’étais heureusement trop jeune, et pas assez courageuse, pour aller jusqu’au bout de cette idée de mort. Si ce spectre revenait régulièrement à la charge, la vie au collège m’aidait à le repousser.
    
    L’internat et la vie avec d’autres élèves m’aidèrent. Je me consacrais ...
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