La révolte des démunis
Datte: 05/08/2025,
Catégories:
sales,
nonéro,
mélo,
portrait,
Auteur: Melle Mélina, Source: Revebebe
Ils traversent la vie en titubant : les épouvantails. Ils errent loin de nos réalités, les réalités de ce monde, loin de notre quotidien, de nos aspirations. Ils sont les monstres de la nuit, les monstres pitoyables pour qui l’avenir de l’homme n’est qu’une chimère. Ils ont cessé de croire, de croire aux lendemains, de croire aux progrès – ils n’y ont pas accès –, ils sont les rumeurs des silences : les clochards.
Nous sommes myopes au pied de l’arbre, sourds aux menaces de la forêt profonde, de la jungle urbaine.
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La première fois que sœur Marie-Thérèse l’a rencontrée, elle chantait du Johnny :
Elle se souvint avoir souri lorsque leurs regards se croisèrent. Elle était malicieuse, mutine. Elle était amusée de voir la réaction des passants, visiblement contente de sa blague. La religieuse lui donna un petit billet de 10 €. Elle la remercia d’un simple hochement de tête.
Sœur Marie-Thérèse était bénévole aux Petits Frères des Pauvres, elle faisait souvent des maraudes et servait la soupe populaire derrière l’église de Sainte-Croix tous les jeudis soir. Elle ne l’avait jamais vue, peut-être était-elle nouvelle. Chaque jour, la société laissait sur le carreau un nouvel indigent, une nouvelle victime. Les SDF étaient de plus en plus jeunes, certains ne devaient pas être majeurs.
Quel âge avait-elle ? Les personnes qui vivent dans la rue n’ont plus d’âge.
Ses yeux pétillaient de fraîcheur, mais sa peau portait les stigmates de longues années de ...
... cauchemar. En la regardant de plus près, la religieuse se ravisa ; elle n’était pas nouvelle, tout portait à croire que cela faisait déjà longtemps qu’elle faisait la manche pour survivre.
Elle voulait lui parler, mais cette dernière continuait de chanter à tue-tête un répertoire de chansons qui provoquaient, sinon une sympathie furtive, un échange de regards.
Lorsqu’enfin elle eut fini son tour de chant, la sœur put lui parler. Alors qu’elle se présenta, la sans-abri lui coupa la parole :
— Madame, c’est pas la peine de m’ennuyer avec vos bondieuseries, gardez-les pour d’autres et comptez pas sur moi pour vous appeler « ma sœur ». Je n’appelle pas quelqu’un « mon père », « ma sœur » ou que sais-je, une personne que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam.
Elle se présenta à son tour sous le sobriquet de la « Clodo ». Elle avait ouvert la soupape et comme beaucoup de SDF, elle souffrait tellement de solitude que, pour une fois que quelqu’un lui manifestait un petit peu d’intérêt, elle déversa des paroles en discontinu comme si elle fut atteinte de logorrhée.
Elle était très intelligente et probablement très cultivée. Elle avait sûrement eu une éducation stricte et complète. La religieuse la trouvait très belle et ne comprenait pas comment une telle jeune fille avait pu sombrer au plus bas de l’échelle de l’humanité. Chaque fois que la sœur lui posait des questions pour en savoir un peu plus d’elle, la SDF les éludait, les sujets paraissaient tabous.
De cette première ...