1. Quand résonne le bourdon


    Datte: 31/07/2019, Catégories: fh, hdomine, historique, policier, Auteur: Claude Pessac, Source: Revebebe

    ... profite de la douce clarté de ce matin de printemps pour soigner son ouvrage. "Noiraude", pour ses longs cheveux sombres et son teint cuivré. Selon les circonstances, d’aucuns se contentent de la traiter d’étrangère, comme le sont tous ceux nés hors du landgraviat. Alors pour elle, originaire d’outre-monts et pis encore…
    
    – Elle a grandi au bord la mer, qu’elle dit ! se racontent les commères sans pouvoir imaginer d’ailleurs ce que peut bien réellement être la mer !
    
    Dès potron-minet, avant même que la mort du seigneur n’ait été annoncée, Sylvette a été appelée au château. Conduite à la chambre de la Comtesse, elle a trouvé celle-ci vêtue d’une longue robe noire, trop large, trop longue. Les retouches devant être réalisées sans tarder, la jeune femme profite de la lumière douce du matin pour piquer à son aise. Un trouble sourire aux lèvres, elle coud sans un regard aux groupes frémissants des villageois inquiets. Tout juste lance-t-elle de temps en temps un regard au vannier, son voisin, qui, sur le pas de sa porte, tresse patiemment un panier sans apparemment prêter attention, lui non plus, aux interrogations des compères et commères.
    
    Les femmes !Combien de vierges a-t-il déflorées, combien de mères a-t-il violées, combien de catins a-t-il culbutées. À cette heure, face au Très-Haut, il est trop tard pour faire amende honorable, son vice lui vaudra de brûler en enfer, pour l’éternité. Arbogast l’a vu, dans la maison de Maman, lutiner, maltraiter, battre, violer des ...
    ... femmes. Souvent, très souvent, Maman venait et disait :— Maintenant, Arbogast va se cacher dans le grand panier, il va se tenir coi, il ne bougera pas. Arbogast a bien compris Maman ?Et Arbogast opinait du chef, grimpait dans le panier et n’en bougeait plus. Alors Maman sortait du grand coffre en bois la couverture rouge du Maître, l’étalait sur la paillasse. Et le Maître arrivait, avec une ribaude échevelée, une catin hilare ou une donzelle épouvantée. Petit, Arbogast s’intéressait peu à ce remue-ménage, mais en grandissant, la curiosité lui est venue d’observer. Maman, sûrement, s’en est doutée et un jour, au lieu de le cacher, elle a obligé Arbogast à quitter le foyer, à sortir, glaner des branchages, lier des fagots ou trier des lentilles dans la grange voisine. Maman ne voulait plus qu’Arbogast soit témoin de ces débauches. Mais Arbogast s’était montré malin : dès qu’il le pouvait, il ramassait des branches, fabriquait d’avance des fagots qu’il cachait. Lorsque le Maître venait, il courait dans l’étable attenante à la maison, et entre deux planches disjointes, il observait la sarabande.
    
    La cour dîmière bruisse des chuchotis des paysans effarés. Sur le double chemin de guet, les soldats, plus nombreux qu’à l’accoutumée, sont nerveux et surveillent la foule rassemblée. L’atmosphère est pesante malgré la légère brise de printemps qui porte déjà les doux parfums des premières fleurs écloses dans les pâturages ou sur les fruitiers.
    
    Assis sur un tabouret de vacher, le ...
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