Quand résonne le bourdon
Datte: 31/07/2019,
Catégories:
fh,
hdomine,
historique,
policier,
Auteur: Claude Pessac, Source: Revebebe
La journée s’annonce chaude. Depuis quelques jours, la froidure a disparu, la neige a fondu, même sur la cime des monts. L’astre du jour a enfin chassé le père Hiver. Il était temps : la mauvaise saison a été rude et interminable. En s’éternisant jusqu’à mi-avril, l’hiver a épuisé les maigres réserves des paysans et la disette s’est installée et a frappé les plus faibles. Les offices d’actions de grâce se sont multipliés, réunissant au fil du temps une assemblée toujours plus nombreuse, plus fervente, à mesure que les fidèles se montraient plus impatients et plus émaciés.
Mais cette fois, les prières ont été exaucées : le printemps s’est installé et réveille la nature. Pas que la nature d’ailleurs : dès les premiers rayons chauds, le village s’est animé ; les charrues ont été attelées, les paysans ont abandonné pour un temps la taille des vignes afin de se consacrer aux labours. Ici, dans la cour dîmière, les maraîchères sont plus nombreuses de jour en jour à venir monter leur étal ; leurs cris pour alerter le chaland sont plus vifs, leurs plaisanteries plus drôles, leurs marchandises plus variées, plus colorées.
Sauf aujourd’hui.
Ce matin, point de marché, pas d’étal. Pourtant, la cour première du château grouille d’une populace nombreuse, nombreuse mais quasi silencieuse !
Le maître est mort.Les manants s’étonnent, commentent, commèrent, mais n’ont pas l’air particulièrement attristés.Arbogast les comprend : le maître ne vaut guère que l’on verse une larme sur ...
... son sort.Douloureux sort !Qui donc pourrait le plaindre. Son cœur n’était que colère et vilénies, sa bouche ne savait proférer qu’injures et ordures.Arbogast n’était pas le dernier à être par lui maltraité. "L’idiot" qu’il l’appelait, lui qui savait à peine lire. Arbogast sait lire, Arbogast est instruit. Arbogast est affreux, laid et bancal, mais Arbogast lit et parle le latin comme le curé. Mieux même ! Arbogast lit le grec, parle l’allemand et même le français. Et l’alsacien bien sûr ! Arbogast a reçu du Très-Haut le don des langues dit le révérend père.Tout Comte qu’il était, le maître n’entendait rien aux langues, aux sciences, aux mathématiques, à l’art. Pour lui ne comptait que l’or. L’or et les femmes.
La première cour du château fourmille de manants en quête d’informations. Les villageois, réveillés au petit matin par le gros bourdon du couvent, sont montés en masse au château fortifié pour en apprendre plus sur la mort du Comte. Des petits groupes se sont formés autour de quelques serviteurs fébriles qui relatent à voix basses les circonstances abominables de l’assassinat du Maître. La foule est silencieuse, choquée sans doute par la barbarie de l’exécution, inquiète sûrement des conséquences à venir, mais très largement indifférente à la souffrance qu’a dû endurer le supplicié.
A l’écart de cette agitation muette, Sylvette, la ravaudeuse, assise sur le bord de la fenêtre de son logis, ourle une robe. La "Noiraude" comme l’appellent les habitants des lieux, ...