1. L'album photo d'Anne 2


    Datte: 17/10/2024, Catégories: Entre-nous, Hétéro Auteur: Laetitia sapho, Source: Hds

    ... après.
    
    - Ah ouais !
    
    J’assistais, amusée, à leurs échanges. Ils sont bien mes petits-enfants quand même :
    
    - L’humanité n’apprend pas de ses erreurs, les enfants. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement. Bernard Kouchner deviendra ministre bien plus tard. Le voilà, tout jeune, ici dans le camp au Biafra.
    
    C’est ce que nous avons essayé de montrer avec votre grand-père, la naissance d’un mouvement, et puis l’horreur aussi, bien sûr.
    
    Nous étions logés avec Pierre près d’un camp de réfugiés, avec quelques occidentaux, principalement des membres des organisations internationales et des reporters.
    
    Nous nous sommes liés d’amitié avec Mary, une infirmière anglaise de la Croix-Rouge qui œuvrait dans le camp. Le soir, nous nous réunissions dans sa tente, ou dans la nôtre pour discuter.
    
    Je suis restée deux semaines là-bas. Rapidement, la fameuse question récurrente que je me posais depuis la Tchécoslovaquie est revenue sur le tapis. Elle me hantera toute ma carrière. Mes photos de réfugiés faméliques, mourant de faim, surtout des enfants, était-ce du voyeurisme ? Ma meilleure photo prise là-bas, c’est pour moi celle-ci. Ce n’est pas l’enfant que je voulais montrer, on le voit juste de dos. Ce sont tous ces photographes internationaux qui le mitraillaient avec leurs appareils, à la recherche du cliché à mettre en première page, tels des paparazzis. Je l’ai fait aussi, bien entendu. Mais moi, je n’en était pas fière, j’ai eu honte de ça, même.
    
    Je n’ai pas ...
    ... répondu à cette fameuse question là-bas. Mais j’avais sûrement encore plus de doutes après le Biafra. L’important était bien entendu de montrer au monde ce qui se passait là-bas. Mais jusqu’à quel point, avec quelle pudeur et surtout pour quel effet ? Encore et toujours cette opposition entre information et voyeurisme, entre vérité et sensationnel qui me tenaillait.
    
    D’ailleurs, Flandrin à mon retour m’a dit que ma photo était extraordinaire, mais qu’il n’arriverait pas à la caser dans la presse. En revanche, il l’a faite encadrer et l’a accrochée sur les murs de son bureau, déjà couverts de clichés. Pour lui, c’était une grande photo, mais invendable. J’étais très fière d’être affichée sur les murs de cet homme, un peu mon mentor. Voilà l’histoire d’une de mes photos, qui fait partie de celles que je considère comme les meilleures de ma carrière.
    
    J’ai donc décidé, au bout de deux semaines de rentrer à Paris. J’en avais vu assez. Il n’y avait rien de plus à montrer. Pierre est resté. Il devait interviewer l’écrivain Wole Soyinka, futur prix Nobel, qui œuvrait pour la fin de la guerre au Biafra et pour la réunification nationale. Il avait été arrêté par le gouvernement nigérian et sortait juste de prison, où il avait écrit un recueil de poèmes pour la paix.
    
    Je suis donc revenue seule en France.
    
    Deux semaines plus tard, début mars, un mardi, je m’en souviens, j’étais à Toulouse pour couvrir le premier vol d’essai d’un avion révolutionnaire, le Concorde.
    
    J’ai fait de ...
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