Bullet Proof - Histoires de Sexe

Bullet Proof

... pourrie jonchée de papiers chiffonnés et de cendriers pleins, pas de photos sur les murs jaunis, quelques grolles puantes dans un coin de la pièce, des meubles sans originalité, une porte semblant mener à une mini-cuisine, une autre à un couloir sombre. Pas de bruit. Endroit familier. Bon, c’était déjà ça. Vaguement, mais quand même. Un appart’ de mec, de toute manière. Si la présence de la guitare était ambiguë, celle des chaussures dégueulasses taille 44 ne laissait planer aucun doute sur l’occupant habituel de cette gargote.

Je finis par apercevoir mon sac de cours juste à côté des grolles. Mon sac de cours ?!

Lundi !

On était lundi !

— Eh merde !

C’est curieux, toutes ces sensations de déjà-vu. J’ai lu un jour que c’était le cerveau qui opérait une vérification sur sa capacité de mémorisation. Un truc dans les aires frontales, je crois, ou une espèce de bug. Mais je préférais la version de Bergson, qui évoquait une coprésence du souvenir et de la perception du présent. Comme si tout ce que nous venons de vivre et étions en train de vivre était à la fois perçu, et rappelé, car passé et présent étaient indissociablement liés. Selon Bergson, c’est parce qu’on se souvient du présent alors qu’on le vit, qu’il y a le phénomène de déjà-vu.

Voilà ce que j’étais en train de me dire dans la panique la plus totale, tandis que je rassemblais mes affaires, opérais une toilette extrêmement sommaire, et me grouillais de descendre l’escalier pour me retrouver dans la ...

... rue, mal coiffée, pas lavée et encore hébétée de sommeil. Douloureuse sensation de revivre encore et encore les mêmes levers désorganisés et les mêmes couchers débauchés… Et encore, là, je n’avais pas de bus à rater, donc pas de risque de me vautrer la tronche en courant derrière ou en ratant la première marche…

L’appartement de Jérémy se situait non loin de la fac, ce qui m’avait poussée à dormir chez lui hier soir. Je m’en souvenais maintenant – même si j’en avais presque conscience au moment où le souvenir m’échappait encore, quand je savais sans le savoir que je n’aurais pas dû être encore là, et qu’il était plus tard qu’il ne le paraissait ; bref, le passé et le présent se mélangeaient tout le temps chez moi, horrible.

Pendant que je clopinais le long des rues, en haletant comme si j’allais crever dans un dernier râle d’agonie, je revivais par ailleursmaintenant les évènementspassés dont je me passerais bien. Ça tournait et retournait dans ma tête, danse fébrile, dionysiaque, teintée d’amertume et de plaisir mêlés. À quel instant T transformons-nous une sensation de déjà-vu en habitude ? Le mystère du cerveau ! Je passai à toute allure devant mon ancien immeuble, le cœur serré, et m’appliquai à ne pas loucher sur les devantures des boulangeries que je croisais. Faim, soif, merde. Fait chier.

— Bonjour Charlotte… euh… tu as oublié de mettre ton réveil ? demanda Maryse, brune frisée, petite, peau blanche, visage rond avenant (enfin, de coutume).

Maryse était la ...