Comme des diamants échoués
Datte: 12/07/2019,
Catégories:
caférestau,
nonéro,
Auteur: Lilas, Source: Revebebe
... les anges, ont rejoint le ciel. Et que nous reste-t-il ? Réponds-moi donc Charles. Que nous reste-t-il quand le désert de la civilisation, du «monde sensé «, a étendu sa désolation sur nos cœurs ?
Il reste la vie. Nous ne sommes que des fragments de vie, illusoires, on se rencontre dans des cafés, on se console mutuellement, on recherche la chaleur humaine, tout ça pour nous enfoncer la tête dans le sable ; parce que c’est le jour qu’on se rend compte du ridicule de notre existence ! Si nous sommes des diamants, nous sommes des diamants échoués… sur une plage de désespoir.
Je repris ma respiration, haletant de ma longue tirade ; Charles me considérait en silence, les doigts crispés autour de son verre. Ma rage tomba très vite, et je promenai un regard empreint de lassitude sur tous ces masques qui buvaient et parlaient, autour de moi. Mon regard accrocha celui de Malko, une seconde peut-être ; il était au fond de la salle. Je l’imaginais en train de se vanter de ses expériences amoureuses à la jolie femme qui était debout à côté de lui, et un serrement glacial me broya le cœur. J’étais écœurée.., oui, écœurée.
Charles me frôla alors l’épaule, et je rivai à lui un regard froid, distant.
— Tu crois que tu as la science infuse, hein ? répliqua-t-il à ce moment, très doucement ; et il sourit d’un air compatissant.
Je me raidis sur mon siège, et le contemplai, un long moment, silencieuse. Il n’attendait pas de réponse, je l’avais deviné, mais une sorte de révolte, ...
... vaine, frénétique me poussa à parler.
— Et toi Charles ? ironisai-je lourdement. Toi, que penses-tu de la vie ? Tu te caches toujours derrière le masque de tes belles paroles ; tu me récites du Virgile, et te complais dans des leçons de moralité, mais qui es-tu ? Tu m’as raconté tellement de fois que tu avais vu la mort de tes propres yeux en Algérie, que tu avais été un professeur brillant à Paris, célèbre ; dans un autre genre, que tu pouvais avaler deux dizaines de ricards à la suite…et qui es-tu ? Quand tu sors d’ici, qu’est-ce que tu fais ? Si tu n’as plus de passé, si tu places l’homme au-dessus de tout, jusqu’à le comparer à un diamant, comment peux-tu donc savoir si tu as réalisé ces rêves qui te dévoraient dans ton enfance ? Pourquoi portes-tu un masque en permanence, si tu es vrai comme un diamant ? Et pourquoi bois-tu autant ?
Je me levai brusquement, souriant méchamment, observant avec délectation sa mine déconfite.
On me toucha le bras, et dans un sursaut, je me redressai maladroitement, les yeux blessés par la lumière. Je m’étais endormie. Malko se tenait à côté de moi. J’aperçus derrière lui quelques personnes de ma connaissance, des gens qui avaient compté énormément pour moi, à une période de ma vie ; aurais-je encore besoin de quelqu’un, un jour ?
— Tu as vu ? laissa tomber Malko, occupé à nettoyer la table. Charles est parti très tôt aujourd’hui. Il n’est que minuit et demie.
Je soupirai d’un air fataliste.
— Il n’a pas dû aimer la chute, ...