1. L'album photo d'Anne 3


    Datte: 21/11/2023, Catégories: Entre-nous, Hétéro Auteur: Laetitia sapho, Source: Hds

    ... était en parfaite santé, avant sa crise. Il n’a pas souffert, il n’a pas été diminué, pas connu la longue maladie. On n’en a jamais parlé, mais c’est comme ça qu’il aurait souhaité partir. J’en suis sûre. Nous n’avions pas la nécessité d’en parler, nous nous connaissions sur le bout des doigts. Il avait d’ailleurs le visage apaisé quand je l’ai trouvé au sol, dans le jardin. Et surtout, je crois qu’il aura réalisé tous ses rêves, qu'il a eu la vie qu’il a souhaité avoir.
    
    Un long silence a suivi ces paroles, mes petits-enfants n’ont pas osé interrompre ma rêverie. Puis, au bout d’un moment :
    
    - Mais Mamie, toi, ça ne t’as jamais manqué de courir le monde ?
    
    - Si bien sûr, ça m’a manqué, mais j’étais mère de famille, ça change beaucoup de choses. Je vais vous avouer une chose, ça me manque encore un peu aujourd’hui. On n’est jamais vraiment guéri de ça. Quand on a le virus, ça ne nous lâche jamais complètement. C’est aussi pour ça qu’aujourd’hui, j’essaye de ne pas m’éloigner trop de ma presqu’île. Au-delà de Morgat, je me sens un peu perdue maintenant. Et puis avec votre grand-père, nous ne sommes pas venus ici par hasard pour y vivre notre retraite. Nous avons choisi un endroit où il n’y plus rien après. Le bout du monde en quelque sorte. Enfin, plus rien à l’ouest. Pierre avait un peu plus de mal. La bougeotte ne l’a jamais vraiment quittée. Moi, je m’y suis faite.
    
    - Je n’ai pas encore choisi mon futur métier, mais j’aimerais faire comme toi et Papy, a dit ...
    ... Raphaël.
    
    - Le monde a changé, lui a répondu Manon. Aujourd’hui, les gens sont fous. C’est dangereux.
    
    J’ai repris la parole :
    
    - Le monde n’a pas tant changé que ça. J’ai connu le Vietnam, le Biafra, la mort, les dictateurs, les massacres. J’ai vu des horreurs, de belles choses aussi, heureusement, prenantes, voir des moments de grâce. Je les ai photographiées. Pour votre grand-père, les mettre en lumière ces moments, les coucher par écrit, informer ce n’était pas du voyeurisme, c’était faire découvrir, partager.
    
    Moi, j’ai toujours eu plus de doutes. Lui utilisait des mots, je montrais la réalité sur papier photo. Nous n’avions pas la même démarche. Il ne romançait, ni ne déformait les événements, mais avec ses mots il racontait une histoire finalement, Il dénonçait, il magnifiait certaines choses. Moi, j’avais une approche beaucoup plus frontale avec mes photos, plus directe, même si j’ai toujours essayé de donner de la profondeur à mes clichés.
    
    A l’époque, la presse émettait une opinion, malgré la censure. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La censure est toujours là et plus que là, mais beaucoup plus insidieuse. Aujourd’hui, la censure ambiante nous propose une version aseptisée du monde. De mon temps, l’information était filtrée. Mais on lisait entre les lignes. On la déchiffrait. On pouvait s’informer, se faire une idée, sa propre idée.
    
    Aujourd’hui, elle est noyée dans un flux incessant de nouvelles. L’important est noyé dans un maelström continu, ...