Aïcha, ou les exils
Datte: 30/06/2019,
Catégories:
fh,
ff,
hotel,
anniversai,
amour,
confession,
historique,
Auteur: Asymptote, Source: Revebebe
... se fit gangrène et la cité dès lors se délita, versa dans la suspicion et la susceptibilité généralisée.
Même les gamins ne respectaient plus leur cadre de vie qu’ils s’employaient à dégrader, ils ne respectaient pas leurs semblables, objet des plus fantasmagoriques jalousies et ne se respectaient pas eux-mêmes. Conscients, d’une certaine manière de leur incurie, partout, tout le temps, ils hurlaient à l’irrespect. Les valeurs s’inversaient, l’insolence, la grossièreté et la brutalité établissaient leur domination. Évidemment s’y adjoignit l’argent facile, enfin, en apparence, celui de la drogue qui allumait les guerres de clans, créait d’illusoires territoires, alimentait mille trafics minables.
Un fossé s’était creusé entre des zones de la ville qui entretenaient les unes envers les autres une haine réciproque. La seule passerelle reliant ces univers était le chemin de la came qui nous amenait de braves bourgeois, lesquels vitupéreraient demain contre ces repaires de bandits et ces zones de non-droit.
Pour les raisons antérieurement évoquées, nous jouissions d’un statut très particulier. Nous bénéficions de la mansuétude due aux ancêtres un peu fossiles. Pas plus que Kadour, je n’avais fait profil bas face aux grotesques malfrats qui s’agitaient autour de nous et pourtant nous nous étions terriblement aveuglés. Longtemps ils m’appelèrent l’aïeule. Il y eut d’abord un fond de considération dans ce sobriquet, toutefois, progressivement il s’empreignit de ...
... mépris. Bien sûr, on me reprocha de ne pas porter le voile. J’eus beau expliquer que je n’étais pas plus Algérienne que musulmane, rien n’y fit. Je suppose qu’ils voulaient surtout marquer leur cheptel féminin. Bientôt nous vécûmes en exil dans un monde d’exilés.
Les dernières années furent insupportables. Les enfants renoncèrent à nous visiter, nos petits-enfants ayant déclaré « On aime beaucoup papy et mamy, mais on ne veut plus aller chez eux parce que ça craint. » Ce fut dès lors nous qui nous rendîmes chez eux. Le tiers-monde s’était établi à notre porte et la joyeuse cage d’escalier d’autrefois convertie en terrain de disputes et de vociférations. Il nous fallut cependant encore quinze ans d’atermoiements avant que nous prenions notre retraite et notre décision. Plus tôt, une nouvelle fuite aurait été inconcevable. Cent fois nous l’envisageâmes, mais pour aller où ? Nous savions néanmoins que nous ne pouvions être plus mal qu’ici !
o-o-O-o-o
Il y a cinq mois nous avons porté dans une terre où on ne la retournera pas, Fara, victime d’un horrible crabe. Son époux vient de se décider à rejoindre Madagascar ; nous sommes donc les ultimes rescapés et nous nous déterminons à notre tour à l’expatriation. Nous vendrons ce que nous avons et rentrerons à Constantine. De quels fallacieux espoirs nous bercerons-nous en revenant ainsi ? Nous sommes, je le crois, sans illusion.
Rien ne s’annonce facile, les tracasseries administratives commencent dès la demande des visas. ...