1. La vie de château


    Datte: 27/06/2019, Catégories: fh, hplusag, jeunes, extracon, campagne, fête, soubrette, cérébral, Oral confession, Auteur: Elodie S, Source: Revebebe

    Bercée par les cahots réguliers du train, je somnole. Le roman à l’eau de rose, acheté à la hâte à la gare, ne m’inspire guère. Huit heures de train pour rallier Quimper à Orléans, avec deux changements au Mans et à Tour, voilà ce qui m’attend…
    
    Une image reste imprimée sur ma rétine : sur le quai de la gare, agitant tous la main, mon père, endimanché dans son beau costume, celui qu’il ne porte que pour les grandes occasions, ma mère, essuyant furtivement une larme, mes deux sœurs, mon frère, et Stéphane, mon copain. Bien que peu apprécié par mon père, il nous a rejoints pour mon départ, pour assister àce grand bond vers la vie active, comme dit Maman. Ce soir, démarre mon emploi de serviceau sein d’une maison bourgeoise.
    
    Quitter ma Bretagne profonde pour découvrir de nouveaux horizons me réjouit et m’effraie à la fois. J’en avais assez de rechercher en vain un impossible emploi de secrétaire-comptable que ma réussite au BTS aurait dû me procurer, de supporter l’étroitesse d’esprit des gens du bourg perdu dans lequel nous vivons, de me sentir surveillée dans tous les moindres détails intimes de ma vie personnelle. À 23 ans, il est normal d’être autonome et libre, et j’éprouvais même les pires difficultés à m’isoler avec Stéphane pour de torrides étreintes bien normales à nos âges. Meules de foin et champs de blé, ça va en été ; mais le reste du temps, avec le crachin breton, nous devions nous retrouver dans une sinistre masure humide au toit à moitié effondré. Au fond ...
    ... de moi-même, je me demande si Stéphane n’est pas plus pour moi une étape vers la liberté qu’un fiancé dont je serais vraiment amoureuse et qui me garantirait de vivre dans la triste grisaille où a vécu ma mère.
    
    Arrivée en gare d’Orléans, je distingue parmi la foule un homme d’une cinquantaine d’années, vêtu d’un uniforme bleu nuit, coiffé d’une casquette, qui brandit un panneau où mon nom est écrit.
    
    — Bonjour, je suis Elodie S.
    — Bonjour ; je suis Gaston, le chauffeur de Monsieur, me dit-il en me dévisageant avec intérêt.
    
    Il s’empare de mes valises et je le suis, trottinant pour rattraper ses larges enjambées. Il installe mes effets dans le coffre du luxueux 4x4 allemand ; je monte à ses côtés. Il est assez taciturne, et ne me dit que quelques mots :
    
    — Nous avons une demi-heure de trajet. Tu es drôlement mignonne pour une Bretonne !
    
    Je rougis, et ne sais que répondre, à la fois sensible au compliment et vexée de l’image qu’il se fait des filles de ma région. Le contact du cuir des sièges sur mes cuisses est grisant ; je n’ai pas l’habitude de voyager avec un tel confort. Le paysage boisé défile, bien différent des champs de choux ou de sarrasin auxquels je suis habituée. Nous pénétrons dans une large allée, ceinte d’arbres centenaires, au bout de laquelle apparaît un vaste manoir aux contours baroques, encadré par deux bâtiments symétriques plus modestes ; visiblement, ce sont des écuries par les fenêtres desquelles plusieurs chevaux sortent la tête.
    
    Nous ...
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