1. Poésie brodskyenne


    Datte: 12/05/2019, Catégories: nonéro, exercice, poésie, Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    ... rouler dans sa merde :
    
    Il n’y a que du désespoir…
    
    Il n’y a aucune poésie dans l’acte
    
    de payer une pute ou un travelo
    
    pour se faire sucer la queue :
    
    Il n’y a que du désespoir…
    
    Et il n’y a besoin d’aucun talent particulier
    
    ni d’aucun génie sorti de mon trou du cul
    
    pour écrire ces mots où
    
    il n’y a que du désespoir…
    
    Les pisseuses et les bourgeois se pâment
    
    ou s’offusquent quand ils lisent mes poèmes
    
    auxquels ils ne comprennent RIEN :
    
    il n’y a que du désespoir
    
    et rien d’autre.
    
    Dans la vie d’un écrivain qui transpire et ressent
    
    la souffrance des pauvres types qui l’entourent,
    
    il n’y a et il n’y aura toujours qu’un putain de désespoir,
    
    et de quoi se faire sauter la tête,
    
    si la douleur devient trop forte.
    
    LA LUNE EST PLEINE
    
    La lune et pleine,
    
    et moi aussi…
    
    J’ai vidé la bouteille de gin
    
    et je regarde la rue
    
    déserte.
    
    Elle est belle cette rue,
    
    avec la lumière des réverbères
    
    qui se reflète sur les voitures
    
    et qui lui donne des airs
    
    de décor de cinéma…
    
    À travers ma vitre
    
    je regarde un film noir
    
    sans comédiens,
    
    sans dialogues,
    
    sans meurtres,
    
    sans rien,
    
    avec une bande originale
    
    jouée par leClodo’s Band
    
    qui beugle une sorte de yaourt
    
    que seuls peuvent comprendre
    
    les alcooliques.
    
    Ils beuglent la solitude de ceux
    
    qui n’ont plus rien
    
    et qui s’accrochent à ce rien
    
    pour qu’on ne le leur prenne pas
    
    comme on leur a pris tout
    
    le reste.
    
    Ils beuglent la ...
    ... colère de ceux
    
    qu’on veut cacher,
    
    qu’on ne veut plus voir
    
    et qui font tout pour qu’on les voie,
    
    conscients que le jour
    
    où on ne les verra plus
    
    ils seront morts
    
    pour de bon.
    
    Ils beuglent le désespoir,
    
    et rien n’est harmonieux dans
    
    leurs cris ;
    
    et leurs cris me touchent.
    
    La lune est pleine,
    
    et moi aussi…
    
    Et je m’avance sur le balcon
    
    pour hurler à la lune
    
    comme les coyotes
    
    comme les clochards,
    
    comme les pochtrons.
    
    Et mes hurlements deviennent
    
    le contre-chant
    
    du chant duClodo’s Band.
    
    Et dans l’immeuble en face
    
    les fenêtres s’allument,
    
    les têtes sortent
    
    et les gens se mettent à hurler
    
    à leur tour.
    
    Des hurlements désespérés
    
    qui voudraient nous faire taire.
    
    Et tout ce désespoir
    
    devient alors une fête immense
    
    pour mes clodos du coin de la rue
    
    qui applaudissent
    
    et qui saluent
    
    avant de partir ailleurs
    
    continuer leur tour
    
    de chant…
    
    La lune et pleine,
    
    et moi aussi…
    
    Mais le spectacle est réussi…
    
    ET ILS PAIENT POUR CELA…
    
    Ils sont plusieurs centaines à faire la queue
    
    devant le guichet
    
    pour obtenir le droit d’aller
    
    courber le dos un mois de plus
    
    devant leur patron…
    
    ET ILS PAIENT POUR CELA…
    
    Ils font la queue en baissant la tête
    
    et en grinçant des dents,
    
    en jouissant d’être devant ceux qui sont derrière
    
    et en haïssant ceux qui se trouvent devant.
    
    ET ILS PAIENT POUR CELA…
    
    Ils sont plusieurs centaines à faire la queue
    
    et à transpirer de colère ...
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