1. Poésie brodskyenne


    Datte: 12/05/2019, Catégories: nonéro, exercice, poésie, Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    EN SORTANT DU BAR…
    
    En sortant du bar
    
    après avoir éclusé mes trois Guinness
    
    nocturnes,
    
    je suis rentré chez moi,
    
    les poings au fond des poches
    
    et en rentrant la tête
    
    dans les épaules
    
    pour me protéger de la pluie
    
    qui tombait à grand seaux,
    
    ce qui, bien sûr,
    
    ne servait à rien.
    
    La petite église romane
    
    du quartier était ouverte
    
    et je décidai d’y entrer
    
    pour m’abriter
    
    un peu.
    
    Faut dire que je ne vais
    
    plus très souvent
    
    dans les églises
    
    en ce moment,
    
    même si je sais bien
    
    que la maison de Dieu
    
    est ma maison.
    
    Mais comme elle est
    
    la maison de tout le monde
    
    et que j’ai du mal
    
    avec le monde,
    
    je préfère lui parler de chez moi,
    
    dans l’appartement
    
    que je partage
    
    avec mon chien.
    
    Par chance,
    
    l’église était presque vide.
    
    Il y avait juste un mec
    
    avec des sabots de cheval
    
    à la place des chaussures
    
    et une queue fourchue
    
    qui jouait de l’orgue,
    
    et qui en jouait merveilleusement bien
    
    pour une fois.
    
    Tandis qu’il jouait
    
    sa queue battait doucement
    
    la mesure
    
    Je me suis assis
    
    sur un des bancs de la crypte
    
    en attendant
    
    que la pluie s’arrête
    
    et en écoutant l’orgue.
    
    J’ai fermé les yeux…
    
    Lorsque je les ai ouverts
    
    à nouveau,
    
    j’ai vu le crucifix
    
    dans le fond de l’église
    
    qui brillait d’un éclat
    
    bien particulier.
    
    Je m’en suis approché,
    
    fasciné,
    
    émerveillé,
    
    en regardant le pauvre bougre
    
    qu’on avait cloué là-dessus,
    
    et qui ...
    ... pourtant
    
    les avait tous envoyés
    
    se faire mettre
    
    en ressuscitant, il paraît,
    
    trois jours après
    
    seulement,
    
    ce qui avait foutu
    
    une belle merde
    
    chez tous les prétentieux
    
    qui croyaient
    
    croire.
    
    L’orgue jouait toujours
    
    et la lumière
    
    m’appelait…
    
    J’ai posé ma main
    
    sur les pieds du crucifié
    
    et je l’ai regardé dans les yeux.
    
    Il avait l’air de vouloir me dire
    
    quelque chose
    
    d’important…
    
    Et alors
    
    l’orgue s’est arrêté
    
    et je l’ai entendu murmurer :
    
    « Sauve-moi, Simon… »
    
    « Hein ? » J’ai répondu.
    
    « Sauve-moi, Simon… »
    
    L’organiste a commencé
    
    une nouvelle partition
    
    et je me suis retourné vers lui
    
    pour lui dire
    
    d’arrêter deux minutes.
    
    Mais quand j’ai vu ses
    
    deux grandes ailes noires
    
    dans son dos,
    
    j’ai flippé ma race
    
    et je suis sorti de l’église
    
    en courant
    
    comme un fou…
    
    Arrivé chez moi,
    
    je me suis servi
    
    une bonne Guinness
    
    bien fraîche
    
    et je me suis juré
    
    que plus jamais
    
    je ne foutrais les pieds
    
    dans cette putain d’église
    
    lorsqu’une musique
    
    retentirait
    
    à l’intérieur.
    
    NE CROYEZ PAS…
    
    Ne croyez pas qu’il y a quelque chose
    
    de céleste ou de romantique
    
    dans la misère ou dans l’alcoolisme :
    
    Il n’y a que du désespoir…
    
    Certains branleurs se croient malins
    
    en racontant des conneries
    
    sur la prétendue liberté des clochards :
    
    Il n’y a que du désespoir…
    
    Il n’y a pas d’héroïsme à boire comme un trou,
    
    à vomir dans la rue ou dans ses chiottes
    
    et à se ...
«1234...»