Les obsèques joyeuses
Datte: 14/04/2019,
Catégories:
fh,
historique,
policier,
Auteur: Claude Pessac, Source: Revebebe
... bénéficient eux aussi des circonstances : des victuailles ont été descendues des cuisines. Brouet clairet, légumes bouillis, galettes d’épeautres, carcasses de gibier et même quelques rôts et volailles. Rien de formidablement ragoûtant, les gueux n’ont droit qu’aux bas morceaux, mais en ces temps de disette, un repas chaud est toujours bon à prendre. Et deux tonneaux ont été mis en perce : une affreuse piquette qui consolera d’autant mieux les cœurs qu’ils ne sont pas véritablement en berne ! Les esprits s’échauffent, des mains s’égarent.
En ce mercredi, troisième jour du deuil, l’oppressante atmosphère du règne brutal d’Ulrich s’est quelque peu dissipée. Des nouvelles circulent : c’est Dame Kirsten, la douce et amène Dame blonde qui administrera le comté d’ici que l’Empereur confirme l’héritier dans son titre. L’affaire peut prendre du temps. Quoi qu’il en soit, tout le monde est d’accord : le fils ne ressemble guère à son père. Si peu de gens ont eu l’occasion de le rencontrer depuis son retour de Poméranie quatre mois plus tôt, les villageois se souviennent du jouvenceau affable et tranquille qu’il était avant de partir parfaire son éducation. Cinq longues années se sont certes écoulées depuis, mais celles et ceux, servantes, domestiques ou métayers, qui l’ont approché récemment, rapportent qu’il a conservé son caractère avenant, au grand dam de feu le Comte Ulrich qui n’avait de cesse de lui reprocher ce tempérament aimable. Qu’il dirige demain le Comté et chacun ...
... devrait y trouver son content.
Les manants sont tranquillisés et espèrent en l’avenir. La mort brutale du Comte les réjouit et le festin les comble d’aise. L’ambiance est détendue, l’alcool fait son effet : quelques cris de vierges, faussement effarouchées, résonnent par instants, suivis de courses effrénées de jeunes filles poussant des cris d’orfraie en fuyant avec plus ou moins de conviction des galants impatients, ce qui déclenche les rires de l’assemblée. Pour un peu, les ménétriers feraient résonner les guimbardes, vibrer leurs vielles, cancaner leurs flageolets et grincer leurs violons. Mais il faut savoir raison garder ! Quoique…
De raison, il n’en reste plus guère à cette heure. Les panses sont pleines, les gosiers abreuvés, les villageois ont oublié leurs tracas quotidiens et affichent une bonne humeur évidente : de féroces plaisanteries fusent sur les attributs dérobés au Comte, certaines matrones, qui savent de quoi elles parlent, n’hésitent pas à moquer ouvertement le ridicule armement :
— Le petit Jésus de la Crèche est mieux loti !
— Mauvaise affaire pour l’assassin, il ne tirera rien de son butin, ni au poids, ni à la taille !
— Il avait p’t-être de l’or, le Comte, mais il avait bourse plate !
— Tout est bon dans l’cochon, mais rien dans cestui-là !
— Comment si petite arme a-t-elle pu provoquer tant des maux ?
— Si t’en avais une si petite, il y beau temps que je s’rais morte de faim, s’exclame une plantureuse gaillarde en balançant sa main entre les ...