1. Les obsèques joyeuses


    Datte: 14/04/2019, Catégories: fh, historique, policier, Auteur: Claude Pessac, Source: Revebebe

    — Arbogast mon garçon, j’ai besoin de ton aide !
    
    Le vaste bureau du Père Supérieur du Prieuré de l’Alwuch baigne dans la douce lumière de l’après-midi d’un printemps radieux. Les fenêtres ouvertes laissent entrer une brise tiède chargée des parfums des arbres en fleurs. La pièce, d’habitude si calme et silencieuse, résonne des propos impatients du Prieur qui va-et-vient, consulte fébrilement les volumes entassés dans les rayonnages de la bibliothèque, remue des ouvrages, soulève une fine poussière qui irise les rayons du soleil.
    
    Lothaire de Brunswick, ou Père Augustus selon son nom d’ecclésiastique, parcourt fébrilement les dosserets des lourds volumes qui font ployer les rayons en chêne, pourtant épais, de sa bibliothèque. Celle-ci n’est pourtant qu’une annexe de la bibliothèque où œuvrent patiemment les moines copistes et autres enlumineurs. Elle recèle principalement les ouvrages tendancieux, hérétiques, libertaires ou libertins, les écrits honnis, bref, c’est l’Enfer. Mais le religieux ne cherche pas un ouvrage licencieux, mais simplement les chroniques de son prédécesseur : ce journal, il se souvient de l’avoir parcouru à son arrivée au Prieuré afin de se familiariser avec les coutumes et événements locaux.
    
    — … du moins, j’aurai besoin de ton aide dès que j’aurai mis la main sur ce satané bouquin ! rage le moine.
    
    Arbogast ne s’étonne même pas de la véhémence presque sacrilège du religieux. Depuis près de quinze ans qu’il le connaît, le jeune homme a en vu ...
    ... et entendu bien d’autres : le religieux n’est pas un modèle de sainteté, de modération et de chasteté. Issu d’une noble famille, il a épousé la religion par tradition familiale comme il aurait été militaire s’il avait été l’aîné de sa fratrie. Arbogast se satisfait pleinement de ce caractère et se souvient de sa première rencontre avec cet impressionnant moine.
    
    Il était alors âgé de dix ans et avait erré sur les routes avec sa mère pendant toute sa prime enfance. Pour apitoyer le chaland, le gamin avait pris l’habitude de se tenir courbé comme un bossu, marchant de guingois et accentuant sa misère par des gestes brusques et malhabiles et par une grimace immobile qui lui déformait et enlaidissait le visage. Une attitude permanente pour ne jamais risquer d’être découvert.
    
    Un soir d’hiver, l’enfant malingre et sa mère étaient venus demander l’aumône à la porte du Prieuré. Accueillis, restaurés, la mère et l’enfant avaient profité de la douce chaleur de la pièce commune. Profitant d’un office qui rassemblait la communauté dans la chapelle, le gamin, en quête de rapine, était parti en exploration du couvent. Ses pas l’avaient conduit dans le bureau du Supérieur où nombre d’objets précieux auraient pu faire son bonheur. Rapidement, il avait fait main basse sur un ostensoir précieux, une broche en or et quelques autres babioles faciles à dissimuler sous ses hardes. Un peu étourdi par toutes ces richesses, le gosse, au lieu de s’enfuir avec son butin, s’était planté face à un ...
«1234...13»