1. Les obsèques joyeuses


    Datte: 14/04/2019, Catégories: fh, historique, policier, Auteur: Claude Pessac, Source: Revebebe

    ... lutrin et feuilletait, émerveillé, un ouvrage imposant richement enluminé.
    
    Le Révérend Père, étonné de voir sa porte entrouverte, s’était silencieusement glissé dans la pièce. Il s’apprêtait à saisir le gamin et à le soulever par le col, lorsque l’index que le gamin promenait sur le livre s’arrêta et que l’enfant déchiffra à voix haute :
    
    — Jé-sus-Chris-to…
    
    Stupéfait, le religieux retint son geste, laissant l’enfant concentré poursuivre ses recherches :
    
    — Do-mi-ni Be-ne-… dic-tum…
    
    Saisissant l’enfant par les épaules, le moine le fit pivoter sur lui-même pour le mettre face à lui :
    
    — Saurais-tu lire avorton ?
    
    Terrorisé, Arbogast avait découvert ce qui lui paraissait être un géant au regard furibond. Tremblant, il avait alors bredouillé :
    
    — Nenni, Arbogast ne sait pas lire, Arbogast ne sait pas lire !
    
    Un moment de grande confusion avait suivi, au cours duquel le gamin avait hurlé sans discontinuer. Le moine l’avait laissé se calmer et le gamin avait fini par sombrer dans un sommeil aussi profond que sa terreur avait été grande.
    
    Plus tard, amadouant l’enfant, le moine avait compris qu’il ne savait effectivement pas lire, qu’il avait simplement reconnu ces mots, inscrits régulièrement sur des statues ou piédestaux. Mais il avait compris également que son apparence grotesque n’était qu’une façade, un rôle. Compris aussi que son étrange façon de s’exprimer sans jamais utiliser « je » pour parler de lui-même et son vocabulaire réduit résultaient non ...
    ... d’une forme de crétinisme, mais d’un simple mimétisme sur celui de sa mère, incontestablement sotte. L’enfant était intelligent ! Le bon moine l’avait alors pris sous son aile et instruit. Grâce lui en avait été rendue, Arbogast s’était révélé un élève studieux, brillant, notamment pour les langues.
    
    — Ah, le voici donc, s’exclama Augustus en extirpant un livre des rayonnages. Voici les chroniques de mon prédécesseur à la tête de l’Abbaye. Le brave homme y relate tous les événements de la région pendant sa charge, jusqu’au jour de sa mort. Nous y trouverons bien quelques indications sur le Comte Valstaff pour peu que tu parviennes à déchiffrer son charabia. Notre Père Abbé n’était point trop versé sur le latin et écrivait le plus souvent dans votre dialecte local : un peu trop obscur pour moi mais tu devrais pouvoir t’en arranger, Arbogast.
    — Sans doute Mon Père, mais que cherchons-nous ?
    — Qui était Valstaff, comment vivait-il, qui étaient ses amis et surtout, surtout, nous cherchons la trace d’un fameux médaillon…
    — Un médaillon Mon Père ?
    — Oui, mon Fils, un médaillon. Alors, au travail !
    
    oooOOOooo
    
    Tous les villageois, serfs et métayers sont montés au château pour les obsèques du Comte Ulrich. Non par reconnaissance, dévotion ou respect, simplement parce que l’événement est synonyme de ripailles. Si après l’office et la descente au caveau, nobles dames et seigneurs se retrouvent à festoyer dans la grande salle du château, la tradition veut que les manants ...
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