1. De l'importance de la couleur


    Datte: 21/02/2018, Catégories: frousses, médical, handicap, nonéro, mélo, portrait, Auteur: Nicolas, Source: Revebebe

    ... explique. Opération possible, risquée, tumeur mal placée, juste à l’endroit ou les deux nerfs se croisent, elle appuie sur eux. Ça peut marcher, mais ça peut aussi rater. Si on ne fait rien, elle sera aveugle dans peu de temps. Si on opère, et si ça marche, elle retrouvera peut-être sa vue d’avant. Si ça rate elle sera aveugle aussi. Voilà.
    
    Il faut décider. Elle doit décider. Seule. Elle doit comprendre que personne ne peut le faire pour elle. Alors, elle questionne. Non, cette opération n’a jamais été tentée dans cette configuration. Oui, la technique existe, elle a été testée sur des animaux et sur des malades décédés. Non, la technique n’est pas sans risque. Non, si ça rate, il n’y aura pas d’autre possibilité. Oui, si ça marche, elle sera guérie, ce type de tumeur ne métastase pas. Enfin on le pense, ils ne connaissent pas de cas. Non, ce ne sera pas douloureux après. Enfin pas trop. Comme une opération, quoi. Oui, la convalescence sera un peu longue. Elle devra rester dans le noir total pendant deux ou trois jours avant que l’on sache si oui ou non elle peut encore voir. Et puis probablement, si c’est oui, il faudra encore quelques jours dans la pénombre pour savoir pour les couleurs.
    
    Elle a dit oui. Elle est entrée à l’hôpital. Elle été opérée. Elle ne souffre pas trop. Ses yeux sont cachés derrière un bandage noir. Elle a peur, ce matin. Dans une heure, elle va savoir. Elle verra peut être du gris, des ombres plus ou moins sombres, peut être rien, le néant, le ...
    ... noir. Les professeurs sont venus chaque jour. Ils sont raisonnablement optimistes, rien n’oblige à dire qu’elle a tout perdu. Rien de concret non plus qu’elle n’est pas aveugle.
    
    Elle les entend, ils sont là, l’infirmière aussi. Une main défait le pansement. Un des Professeurs lui dit de fermer les yeux et demande à l’infirmière d’éteindre les lumières. Le dernier bandage est enlevé.
    
    — Ouvrez lentement les yeux, lui demande-t-on.
    
    L’infirmière lui tient la main et lui parle doucement.
    
    — Vous ne verrez rien, la pièce est dans le noir.
    
    Puis au bout de quelques secondes elle sait. La blouse blanche, elle a vu une blouse blanche. Elle referme les yeux aussitôt. Puis les rouvre lentement. Elle en voit deux maintenant, deux blouses blanches, fantomatiques au pied de son lit. Comme des anges gardiens. Elle ne voit pas les visages mais une masse confuse et grise. Quelqu’un allume une petite lampe loin d’elle. Elle voit un peu mieux. Sauvée. Alors elle pleure doucement, sans sanglot, sans gémir.
    
    Elle vient de revenir à Saint-Vincent. En ambulance. Elle porte des lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage. Mais derrière, ses yeux voient à nouveau en couleur. Il faudra encore quelques jours pour que tout soit parfait. Elle revoit « ses Professeurs » dans une dizaine de jours.
    
    Le lendemain matin elle monte dans son atelier. Les tournesols, les glaïeuls dans la jarre sont toujours là. Morts, depuis le temps, bien sûr. Alors elle se met au travail, change de toile ...
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