1. De l'importance de la couleur


    Datte: 21/02/2018, Catégories: frousses, médical, handicap, nonéro, mélo, portrait, Auteur: Nicolas, Source: Revebebe

    ... elle retourne à sa voiture et reprend le chemin de chez elle.
    
    Cela fait quinze jours qu’elle traîne, de sa chambre au jardin, du jardin à l’atelier, de l’atelier à sa chambre. Elle a revu son médecin. Il lui a prescrit des anxiolytiques. Elle suit consciencieusement son traitement, indifférente à tout ce qui l’entoure. Mourir, en finir avec cette situation. À part cela elle n’est plus capable de penser à quoi que ce soit. La boulangère s’arrête chaque jour face au grand portail et klaxonne. Les voisines sortent et viennent chercher la baguette ou le pain pour la journée. Aline attend patiemment que tout le monde soit parti pour passer la grille et faire son achat. Elle n’aime pas répondre au traditionnel :
    
    — Alors, comment ça va aujourd’hui ?
    
    Que dire ? Quand elle quitte la boulangère, elle jette un œil rapide à la boîte aux lettres. Depuis qu’elle a collé le petit papillonstop pub, c’est vite fait. Quelques factures et autres courriers administratifs. C’est tout, tout en noir et blanc, et bien loin de remplir la boîte. Pourtant ce matin une enveloppe retient son attention. Le sigle du C.H.U. en haut à gauche fait battre son cœur un peu plus vite. Mais c’est sûrement une facture ou une feuille de maladie. Dans la cuisine elle range le pain dans son sac de toile, s’assied à la table et, de la pointe de son Laguiole, ouvre l’enveloppe. Une lettre en sort lui demandant de prendre rendez vous au plus vite avec le Professeur au numéro indiqué plus haut. Intriguée, elle ...
    ... s’exécute. Le rendez-vous est fixé au surlendemain, mais au secrétariat personne ne peut lui dire ce qui motive ce courrier.
    
    Deux mauvaises nuits, avec des cauchemars et, comble de l’ironie, ils sont en couleurs. La journée entre les deux nuits est encore plus mauvaise. D’abord il pleut, très fort. Le vent d’ouest, celui qui s’engouffre dans la vallée de la couze Pavin. En hiver, glacé d’avoir balayé les estives enneigées du côté de Super-Besse. En été, violent et mauvais comme une teigne de n’avoir rien trouvé pour jouer. Il pousse devant lui de gros nuages lourds, sombres, dont on ne voit que le ventre gonflé de pluie, tellement épais qu’on se croirait à la Toussaint. La couze roule gros au fond du jardin, une eau qu’Aline sait brunâtre, limoneuse, mais qu’elle ne voit que grise de sa fenêtre. Pourquoi sortir ? En plus, on ne peut même plus aller aux escargots, la période est passée. Alors elle ferme les lourds rideaux et se recouche. Elle passera la journée là, sans bouger, allongée dans son lit, draps remontés au menton, l’esprit vide.
    
    À nouveau le cabinet de consultation. Face à elle ils sont deux, le Professeur et un autre homme. Ils regardent ensemble les radios, les scanners, les I.R.M. étalés sur le bureau. De temps en temps l’un montre quelque chose à l’autre, ils échangent quelques mots. Puis ils s’adressent à elle. Le nouveau venu est aussi un Professeur. Il vient de Lyon. Ils ont l’air de bien se connaître tous les deux. Ils se disent « tu ». Le nouveau ...
«1...3456»