1. D'ébène et d'opale - 1/2


    Datte: 06/03/2019, Catégories: fh, fplusag, couleurs, miroir, Auteur: Laure Topigne, Source: Revebebe

    ... bien que je convienne que la sybarite qui s’agite maintenant sous mes yeux ne saurait être l’illusion de mes sens exacerbés, même si j’hésite encore à me reconnaître formellement en elle.
    
    Les doigts rampants cependant ont atteint mon corsage, et à travers le taffetas épais et geôlier s’escriment à agacer des tétons invisibles mais éminemment réceptifs à leurs sollicitations. Je sens ces misérables, indépendants de moi, en quête d’un plaisir propre, presque rebelle à ma volonté, n’obéissant qu’à l’autre, la sybarite, qui se délecte de leur allégresse. À bout de forces et les nerfs en pelote, d’une voix larmoyante et lamentable, je le prie de cesser là, et en désespoir de cause j’en viens à le menacer d’une plainte pour viol.
    
    Il en rit et rétorque :
    
    — Il sera peut-être difficile de convaincre la maréchaussée d’un viol dont tu as toi-même fixé le prix après t’être exhibée sur la voie publique.
    
    Cette réplique pleine de bon sens achève de me confondre, mais moins que ne me déconcerte l’usage de ce terme désuet de « maréchaussée » qui m’égare, reléguant ce qui se déroule dans un monde ancien et soulignant l’irréalité du présent.
    
    Il profite de ce nouveau trouble et insère une main dans mon soutien-gorge tandis qu’il porte l’autre sur ma cuisse dénudée, juste entre l’échancrure du bas et le slip, là où l’on est plus nue que nue, là où se concentrent vulnérabilité et sensibilité.
    
    Ces atteintes me raidissent, et en une nouvelle rebuffade accompagnée de quelques ...
    ... piteuses menaces marmonnées sans conviction, j’essaye de l’écarter mais m’englue toujours davantage dans les rets de mes aspirations contradictoires. Je ne ressens que l’incandescent rayonnement de ses mains, la dextérité ferme, suggestive et suave de leurs effleurements, et j’entends cette maudite sybarite qui – pernicieuse – me susurre qu’à l’esprit la chair n’est point soumise, que des élans du corps le cœur ne saurait s’avilir, que s’accorder une jouissance passagère n’a rien de répréhensible, que je suis en vacance, ce qui peut s’entendre selon les deux sens du mot et me rappelle que je n’ai jamais été inconditionnelle d’une rigoriste fidélité et que… et que…
    
    Les arguments, pleins de réalisme primaire, de mon tourmenteur s’additionnent à ceux de cette pimbêche ; mes lancinantes frustrations passées s’agrègent à celles que développe l’insistance de mes refus présents ; tous ces éléments conspirent désormais à ce que je m’abandonne sans plus de révolte.
    
    Surtout, je discerne de mieux en mieux la terrifiante attraction que m’inspire ce beau mâle, et si je suis assurée de ne jamais faire l’amour en mon cœur avec un autre que mon amant, le reste de ma personne exprime moins d’intransigeance. Mais ceci me reste inacceptable, ne me ressemble pas, et en un ultime sursaut je tente encore de me dérober en le bousculant, essayant de fuir cette table avilissante ; et ce faisant, je m’épouvante à la pensée qu’il puisse obtempérer. Que fera-t-elle alors, elle, la sybarite ? ...
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