1. Le parloir / Si tous les grands hôtels


    Datte: 17/01/2019, Catégories: fh, ff, hh, hotel, douche, cérébral, Oral hsodo, tutu, poésie, Auteur: Louise Gabriel, Source: Revebebe

    Il a dû m’arriver de faire des bêtises qui m’ont conduite dans ce monde clos. Je suis une emmurée vivante, enfermée sur le silence de mon passé peu glorieux, prisonnière de mes actes anciens. Je suis donc là, l’âme en vadrouille permanente, puisqu’elle seule peut franchir la frontière de ces murs de béton, elle seule a ce pouvoir-là, de m’emporter vers des cieux plus cléments.
    
    Tu es le rêve que j’attends toutes ces fins de mois où tu me rends visite, lumière solaire éclairant l’espace d’un instant mon univers carcéral.
    
    Ma compagne de cellule n’a de cesse de me dire que je parle en dormant, qu’elle écoute religieusement le débit saccadé de mes errances inconscientes. Elles sont jolies, paraît-il, mes histoires à l’empêcher de dormir.
    
    Le mois de février touche à sa fin. Je ne suis pas allée à la promenade du matin. Le ciel est couleur ciment, aussi bétonné que les murs alentour, et je n’en puis plus de cet espace sans horizon où il faut immanquablement lever la tête pour surprendre le soleil. Je me contenterai du chant criard d’un moineau pour me rappeler que je vis encore sur la planète Terre.
    
    À tant me promener en songe, je finis par perdre le fil de la raison et, finalement, je n’y tiens pas tant que cela, aux dures réalités de la prison. Je préfère imaginer ta venue, cet après-midi, après le déjeuner. Les repas finissent par avoir une importance considérable ; ils morcellent le temps, ils sont repères obligatoires pour moi qui n’ai jamais pris un grand plaisir ...
    ... aux joies de la table.
    
    Enfin le moment tant et tant attendu arrive.
    
    Nous sommes toutes en rang d’oignon, sages, apprivoisées, clouées par la très longue attente. Chacune à notre tour, nous avons droit à la demi-heure d’évasion, nécessaire absolu pour lutter contre la réelle folie.
    
    J’entre enfin dans cet espace encore plus clos, plus restreint ; mais elle en devient presque rassurante, la proximité étouffante des murs gris, elle m’empêche de me fuir complètement, elle me contraint à la violente concentration ; j’ai la sensation que mon corps meuble tout l’espace disponible, il s’étale, il s’éparpille.
    
    Tu es là, bien sagement assis, et tu viens toujours avec ce que j’aime par-dessus tout, un si joli sourire. Lui seul m’offre déjà le voyage loin d’ici, si loin.
    
    Et il faut une imagination débordante pour se faire l’amour au travers d’une cloison en verre trempé. S’appréhender à la seule force d’un regard demande de n’être plus qu’un œil perceptif au moindre cillement. Le plus simple, le plus petit des gestes devient caresse abyssale.
    
    Nous nous regardons, intensément, nous avons depuis longtemps déjà cessé de nous parler, le temps est compté, bien trop court pour s’égarer dans la parole. Et les mots prononcés par nos corps respectifs sont bien plus volubiles que toutes les phrases du monde. Cette camisole de béton donne toute son importance, toute son évidence à cette fuite de soi pour partir à la rencontre de l’autre.
    
    Et l’on devient liquide, aérien, volatil. ...
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