1. Un Grand Écrivain


    Datte: 20/12/2018, Catégories: inconnu, bizarre, nopéné, init, nonéro, exercice, portrait, délire, Humour Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    ... gueule, j’ai jamais fumé un joint. Même les clopes, je les crapote. Je crapote un paquet par jour, pour faire genre. Parce qu’un grand écrivain, forcément ça fume. Et moi, je suis le nouveau Hemingway, bordel… Je me dis qu’il faudra que je m’achète une pipe.
    
    J’me fous au pieu avec la satisfaction du devoir accompli. Je viens de vivre un truc pas banal. Demain, je pourrai me coller sans crainte devant ma feuille blanche. J’ai un truc à raconter. On va voir ce qu’on va voir, bordel. Je vais écrire LA nouvelle de l’année, primée par France Inter, encensée par Télérama. « Le poivrot du Nouveau Monde » ça s’appellera. Et P’pa téléphonera pour s’excuser, et il me dira que c’est moi qui ai raison, que désormais il croit en moi, que je peux rentrer à la maison, qu’il s’en tape désormais que je devienne pas ingénieur dans les roues de brouettes ou dans les manches de casseroles. Que je suis un vrai artiste, et que, putain… (non il dira pas « putain »), il est vachement fier de moi.
    
    Je me réveille sur les 10 heures du matin. Mon poivrot s’est tiré, sans faire de bruit. Je me sens envahi d’une indicible terreur : et s’il avait piqué quelque chose ?
    
    Je fais le tour de l’appart’. Tout est en ordre. Enfin, en bordel. Le même bordel que la veille. Y a juste un mot griffonné sur mon papier à écrire. Mais c’est écrit en anglais. Autant essayer de traduire l’hébreu des bouquins de Sammy. On verra ça plus tard…
    
    Je range l’appart’, j’avale un café, et je descends à la librairie. ...
    ... Il faut que j’achète une ramette de papier, j’ai plein de trucs à écrire, et j’ai une putain d’inspiration aujourd’hui. Je prends le mot avec moi pour demander au libraire de traduire, vu qu’on est en bons termes, avec toute la thune que je lui laisse.
    
    Après avoir payé, je lui sors mon papier. Il chausse ses lunettes et lit :
    
    C’était pas signé. J’me rends compte que je connais même pas le nom de ce type, et qu’on aurait eu lui et moi des tas de choses à se dire. Mais c’est trop tard. Ce fut une rencontre fugitive, comme on dit…
    
    Et c’est en me retournant pour sortir que je le vois. Il est là, devant moi… EN PREMIÈRE PAGE DU JOURNAL DU MATIN.
    
    « SCANDALE CHEZ PIVOT ! » titre la une du canard. On le voit en gros plan, avec sa trogne toute cabossée, en train de vider une bouteille de pinard sur le plateau d’Apostrophes. J’en crois pas mes yeux…
    
    — C’est lui ! que j’dis au libraire.
    — Qui ça, « lui » ?
    — Le mec qu’était chez moi hier, qui m’a laissé ce mot… C’est le type de la photo.
    — Bukowski ? Ce gros porc, chez toi ? Tu te fiches de moi ?
    — Bien sûr que non…
    — Et tu ne l’as pas reconnu ?
    — Je le connais pas, que je réponds. J’ai jamais rien lu de lui. Je savais même pas qu’il était écrivain.
    
    Le libraire me regarde bizarrement. Puis il hausse les épaules et part dans les rayons. Il revient et me tend un petit bouquin avec une femme à poil en couverture. « Contes de la folie ordinaire », ça s’appelle. Un monceau d’obscénités, qu’il dit…
    
    Puis, comme je ...