1. Un Grand Écrivain


    Datte: 20/12/2018, Catégories: inconnu, bizarre, nopéné, init, nonéro, exercice, portrait, délire, Humour Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    C’était hier, c’était il y a longtemps…
    
    Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1978 pour être précis.
    
    Il est deux heures du matin, et je suis assis à la table du salon à noircir du papier. Je suis le meilleur écrivain que ce siècle ait jamais vu, et comme tous les génies de 20 ans, je suis en train de raconter ma vie. Elle est passionnante, ma vie. Pleine d’histoires d’amour formidables, qui évidemment se terminent toutes très mal, étant donné que toutes les femmes sont toutes des salopes, et que de toute façon personne comprend rien à mon art.
    
    Une fois écrit cela, en une quinzaine de lignes, le Grand Écrivain tourne en rond dans l’appartement, allume clope sur clope, et se verse un énième verre de whisky.
    
    « Rien à raconter, putain… J’ai le feu sacré, et j’ai pas d’histoires sérieuses à écrire. Mon dépucelage ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? » Remarque que je dis pas ça pour le lecteur. Je m’en tape, du lecteur. Un écrivain ne doit pas écrire pour ses lecteurs. Je suis pas un représentant de commerce, et j’ai pas de camelote à fourguer. Moi, je suis Simon Brodsky, écrivain génial, maudit et torturé…
    
    Insidieusement, reviennent à mon esprit les mots d’un chanteur à la mode qui répondait sentencieusement à un journaleux que les jeunes qui essayaient d’écrire le faisaient marrer. Paraît qu’à 20 ans, on a rien à raconter, parce qu’à cet âge, on a pas vécu. « Vivez votre vie, qu’il disait, vous la raconterez après… » Mais je t’emmerde, connard ! Y en a marre de ces ...
    ... vieux singes qui prétendent être les seuls à pouvoir grimacer. Moi, j’ai du talent, un immense talent, je le sais, c’est tout. Et c’est pas les leçons à dix balles d’un type qui se prend pour un avion sans ailes qui vont me faire renoncer à la grande carrière d’écrivain à laquelle je me destine.
    
    Des cris dans la rue. Une bagarre de poivrots… Génial, je vais me foutre à la fenêtre et regarder, ça me fera un truc à raconter.
    
    Donc, trois étages plus bas, y a deux types qui en tabassent un autre. Ceux qui cognent sont des clodos d’élevage, je les vois souvent faire la manche devant la supérette. Je me demande comment ils tiennent encore debout à cette heure, vu ce qu’ils éclusent toute la journée. L’autre doit pas faire partie de leur monde. Il a un vague costard, mais tout déchiré, et à l’évidence, il est beaucoup plus saoul que les deux autres. L’un des clodos a pris un couvercle de poubelle et tente de cogner avec. Et là, surprise, le murgé l’esquive et lui colle une droite digne d’un pro du ring. Couvercle de poubelle s’étale, et l’autre, du coup, hésite un peu. Alorsbattling pochtron se met en garde et hurle à son adresse : « Fuck you, bastard ! »
    
    L’autre se relève et laisse son couvercle. Il met sa main dans sa poche et en sort un couteau. Là, je me mets à flipper pour mon pote le pochtron. Alors je crie par la fenêtre : « C’est fini ce bordel ou j’appelle les flics ! »
    
    Putain… j’en reviens pas… je suis un héros…
    
    Les deux clodos détalent. L’autre se retourne, ...
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