1. Un oral délicat


    Datte: 28/11/2018, Catégories: fh, hplusag, jeunes, inconnu, profélève, caférestau, noculotte, occasion, f+prof, Auteur: Elodie S, Source: Revebebe

    ... de tenter d’éviter le stress qui croît avec l’attente. Margot est appelée, elle disparaît. Visiblement, mon examinateur est plus lent (plus exigeant ?) que les autres, car il reste plus d’étudiants avec des sujets rouges qu’avec d’autres couleurs. Je rejoins Margot dans le couloir, elle a les larmes aux yeux et me glisse d’un ton triste avant de s’éloigner :
    
    — Un homme, une vraie peau de vache !
    
    Je décide d’ouvrir les trois premiers boutons de mon corsage, selon ma stratégie préétablie. Je sais que mon buste laisse ces messieurs rarement indifférents. Je suis effectivement la dernière à passer, alors que les autres jurys en ont fini depuis une bonne demi-heure. Ma main tremble en lisant l’énoncé qui m’est assigné :
    
    Le plaisir est-il nécessairement physique ?
    
    Je fais rapidement la liste des auteurs dont je pourrais placer les précis plus ou moins bien digérés dans mon exposé : Épicure, bien sûr, Hamilton, Freud, Sade, Hutcheson, Bataille, Spinoza, Montherlant, Rougemont, Marcuse peut-être…
    
    La réponse à la question est bien évidemment non. Mais ma prof m’a dit un jour que nous pouvions parfaitement prendre une position paradoxale, et si nous arrivions à la défendre avec talent, nous avions alors plus de chances d’avoir une note élevée qu’en restant sur une position médiane sans saveur. J’en fais mon parti. J’écris mon argumentation. Début banal, le plaisir purement intellectuel existe, blablabla… Je déroule de manièrebateau ce point de vue sur les deux tiers ...
    ... de mon exposé, puis, en la soulignant, j’écris la phrase suivante :
    
    Quel qu’il soit, le plaisir provoque une excitation des nerfs, donc il a une portée nécessairement physique.
    
    J’appelle à la rescousse tous les auteurs dont j’ai des notions, Freud et le cerveau comme organe sexuel majeur en premier, et j’ai tout juste le temps de bâcler une conclusion sur la douleur, antithèse du plaisir, mais qui en donne à certains, et le manque, qui, lui aussi opposé au plaisir, permet de décupler celui-ci.
    
    Je m’assieds face à mon examinateur qui, après un rapide coup d’œil et une esquisse de bonjour, se plonge dans la lecture de mon exposé. Heureusement, j’ai une écriture assez lisible.
    
    Cela me laisse le temps d’inverser les rôles, et del’examiner au moins visuellement. Il est une véritable caricature du prof agrégé : la cinquantaine, petit, rondouillard, il arbore un costume trois pièces en pied-de-poule, trop étriqué pour lui. Son crâne est dégarni, ses petites lunettes rondes métalliques à la Trotski sont posées tout au bout de son nez aquilin. Curieusement, ses grosses lèvres sensuelles détonnent avec son look d’intellectuel. La maigreur de son cou contraste avec son corps plutôt épais, ses épaules tombent vers l’avant.
    
    Je devine la lassitude de l’examinateur lisant la copie du nième candidat de la journée et qui n’a qu’une envie : se précipiter dans le métro pour rejoindre dans une lointaine banlieue une triste conjointe et une soirée télé en grignotant une pizza. ...
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