À Paris - Histoires de Sexe

À Paris

... Lectra » ferait dix fois mieux que ton excellent coupeur, avec moins de pertes, pas de rectifications à faire. Garde les gabarits pour le folklore, mais tu peux doubler la production et regagner des parts de marché, c’est certain.
— Tu es sûr ? Peut-être… J’étais inquiet ces derniers temps, je sentais bien que quelque chose n’allait pas, mais sans parvenir à le définir… Tu comprends ? L’habitude, la tête dans le guidon en permanence… C’est pourquoi un œil neuf… Mais que faudrait-il faire ? Par où commencer ?
— Changer tout ! D’un coup ! Tout dépend des capacités d’investissement. Je n’ai pas eu accès aux comptes encore.
— Tu y auras accès demain, tu verras, l’entreprise est saine.
— Non, papa, c’est faux. L’entreprise a de l’argent disponible, mais elle est pourrie, pardonne-moi l’expression. Cet argent aurait dû servir à la moderniser régulièrement, ça n’a pas été fait et ça va coûter un bras.
— Tu pourrais me faire un rapport ? Un projet ?
— Bien sûr, mais ce ne sera qu’un avis de débutant, un audit serait plus sûr.
— Oui, mais ça va coûter encore, cette histoire. Je te fais confiance parce que c’est ton héritage. Et surtout, pas un mot à Béatrice. Je ne veux pas l’inquiéter.

Inquiète, elle l’est déjà, redoutant le pire à cause de notre heure et demie de retard. Et mon père qui veut prendre un apéro, un whisky qui plus est, et qui m’en propose un. Elle est rongée par la curiosité.

— Ça s’est mal passé entre vous, vous vous êtes engueulés ?
— Pas du tout, ma ...

... chère, pas du tout.
— Non, Béa, rassure-toi, tout va bien.
— On a juste fait le point et Jérôme m’a convaincu de l’efficacité de l’informatique.
— Ah ! Depuis le temps que je te le disais. Déjà quand je travaillais…
— Oui, oui, je sais. Le passé est le passé, il faut maintenant regarder vers l’avenir. Et pour cela, je ne vais pas embaucher mon fils comme gratte-papier, mais comme consultant. À salaire équivalent, ce sera bien plus rentable pour moi, compte tenu des sommes exigées par HEC. Et ça lui fera une expérience.

Au dîner, il ne parle pas et grignote sans conviction. Dès qu’il a fini, il sort sur la terrasse et fume encore un cigarillo, ce qui ne lui arrive absolument jamais. Et puis il va se coucher… Béa me demande :

— Mais qu’est-ce que tu lui as dit pour le mettre dans cet état ?
— La vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
— C’est à dire ?
— Que sa boîte est complètement dépassée et que je ne lui en donne pas pour plus de trois ans.
— Ah ! Je me suis tuée à lui dire tout le temps que nous avons travaillé ensemble. Tu as bien fait, je crois qu’il t’a entendu. Tu sais, il te respecte parce que tu as les diplômes qu’il n’a pas pu avoir.
— C’est à dire ? Il a quoi ?
— Certificat d’études et au boulot. Il est dur, mais son père l’était bien plus. Il a dû passer par tous les postes de l’atelier, aucun cadeau.
— Je comprends mieux. En fait, il n’a fait que préserver l’existant, « l’héritage » en somme. Sans le faire évoluer de peur d’altérer la mémoire ...