1. "Et toi, bébé, à quoi tu rêves ?" - Brodsky a le blues


    Datte: 15/08/2018, Catégories: nonéro, Humour Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    ... moment-là, tu devras te battre et lui foutre la trempe de sa vie, et le faire gicler de ta tête, pour toujours.Ça a donné la nouvelle suivante que je vous livre en direct sur les ondes qui nous rassemblent.
    
    Je monte l’escalier branlant qui mène à l’étage supérieur, avançant tant bien que mal dans une semi-pénombre, vu que la plupart des ampoules du plafond sont cassées. J’arrive sur le palier. Ça pue la pisse et la bière renversée. La porte est là-bas au bout du couloir. Une porte en bois usée, la serrure fracturée. Un squat, donc… Je sais ce que vais trouver derrière, et ce que je vais devoir faire, et tout ce que cela implique. C’est pas joli-joli, mais je n’ai pas d’autre choix. Ça fait un bail qu’il est là, le squatteur ; quelques années que je le tolère (par bonté d’âme ?) et qu’il emmerde tout l’immeuble. J’ai reçu des plaintes de la part des autres locataires, pour la plupart des types sans histoires, qui font chier personne et qui paient leur loyer… Ils ont le droit d’avoir la paix. Faut qu’il décanille, le nuisible, sinon ce sont les autres qui partiront.
    
    Je pousse la porte. Comme je m’y attendais, elle n’est même pas fermée. Une odeur de clopes, de merde et de whisky renversé me prend immédiatement à la gorge. Il est là, assis dans le canapé défoncé, le regard dans le vague, vieux et dégueulasse comme jamais ; une pile d’assiettes crades attendent dans l’évier depuis au moins mille ans, propres désormais, les cafards ayant bouffé jusqu’au moindre petit atome ...
    ... des salissures initiales. Y a Mendelssohn à la radio…
    
    — Salut Hank.
    — Mouais…
    — Tu peux baisser ta musique ? Faut que je te parle.
    — Mouais…
    
    Il se lève et va tourner le bouton du poste. Je l’examine en détail. Il est quand même vachement baraqué. Je crois que ça va être difficile d’employer la manière forte. Vaut mieux que je tente le coup à l’hypocrite, mielleux et tout sourire, façon DRH devant le type qu’il veut foutre à la porte. Envelopper un boniment dans un papier cadeau, « T’es le meilleur d’entre nous, on te mérite pas, et d’ailleurs on a même plus de quoi payer un type de ton talent… Je peux pas te retenir, ce serait un crime… Alors comme je sais que tu n’oseras pas me faire de peine, je vais te licencier ; comme ça, ce sera plus facile pour toi… » Pas certain que ça marche avec ce genre de lascar, c’est pas le dernier des cons quand même. Mais bon, qui ne tente rien n’a rien.
    
    — Hank, mon pote, je crois qu’il est temps qu’on arrête notre collaboration.
    — Mouais ?
    — Ça fait des années que tu te donnes tout ce mal pour moi et faut bien reconnaître les choses, je suis pas doué. Tu perds ton temps.
    — Mouais…
    — Alors, je me suis dit, et c’est pas facile à admettre tu sais, faudrait lui permettre d’aller squatter la tête d’un autre écrivain. Un mec qui le mériterait, un qui aurait le feu sacré, prêt à tout abandonner pour se consacrer UNIQUEMENT à ce putain d’art de l’écriture…
    — Mouais…
    — T’es d’accord avec ça ?
    — Mouais…
    — T’as un truc à ajouter ?
    — ...