Résonance pour le vide
Datte: 28/07/2018,
Catégories:
nonéro,
Auteur: Lilas, Source: Revebebe
... cette rebuffade, il parut même s’en amuser. Tandis qu’il se renfonçait dans son fauteuil, en faisant craquer le cuir usé, un demi-sourire releva le coin de ses lèvres. Comme il continuait à fixer le visage de la jeune femme avec son même sourire et son même flegme, elle sentit sa gêne croître d’un cran.
– Je ne sais même pas pourquoi je viens vous voir, ajouta-t-elle plus calmement, comme pour excuser son impulsivité. J’ignore…
Elle s’arrêta, et le silence s’éternisant, se mordit les lèvres d’un air agité.
Il la dévisageait toujours, sans rien dire.
– Je vous en prie, murmura-t-elle. Cessez de me regarder ainsi, c’est très gênant.
– Et moi, je me pose une question, répliqua sereinement M. Tomaze, toujours en la fixant. Pourquoi vous estimez-vous exceptionnelle au point de vouloir faire un livre de votre vie ?
Il marqua une pause, puis reprit, un peu cynique :
– Enfin, je dis votre « vie », mais ce n’est pas vraiment ça. Vous avez quoi, vingt, vingt-deux ans ? Peut-on appeler ça une vie ? Une ébauche tout au plus…
– Ce n’est pas précisément un livre de mavie, répondit-elle d’une voix mesurée. Et j’ai vingt-quatre ans. Et surtout, ce n’est pas à vous de juger si ma vie n’en est qu’à une simple ébauche. Je vois mal comment vous pourriez avoir la moindre idée de ce que je suis, au stade de notre « relation ».
Les yeux perçants du fameux « M. Tomaze », cet homme inconnu, sans prénom, sans âge, au passé aussi indéchiffrable qu’une prescription écrite ...
... par un médecin, ne quittaient pas ceux de la jeune femme. Comme s’ils cherchaient à en faire une évaluation, une sorte de test au terme duquel le comptage des points révélerait ou non la franchise et la valeur de celle-ci. Elle avait l’impression d’être balancée d’un bord à l’autre sur la poupe d’un navire, en pleine tempête. Elle se sentait seule, triste, et désemparée. Peut-être s’était-elle trompée en venant ici. Peut-être ne serait-ce qu’une déception de plus. Ce M. Tomaze ne lui inspirait pas confiance, ni dans ses manières, ni dans la façon qu’il avait de la regarder. Et pourtant, elle l’étudiait silencieusement depuis un quart d’heure, et devinait autre chose de plus profond sous ce vernis social. Quelque chose en lui retenait l’attention, un je ne sais quoi de primitif, de pathétique, et de tragique à la fois. Un ours attachant.
– Vous dites que ce n’est pas « précisément » un livre de votre vie ? reprit-il lentement, comme si tout ce qui avait suivi cette précision n’avait pas eu d’importance. Qu’entendez-vous par là ? Aurais-je mal compris, au téléphone ?
Un regain d’intérêt semblait s’être glissé dans sa voix. Elle le regarda d’un air sombre.
– À vrai dire, prononça-t-elle non sans quelques difficultés, ce que je veux que vous fassiez pour moi vous changera certainement de vos habitudes. Enfin, si vous acceptez, bien entendu.
M. Tomaze joignit les mains, et dévisagea longuement la jeune inconnue assise en face de lui. Elle était brune, ses yeux étaient ...