1. Promenade un soir d'été


    Datte: 30/06/2018, Catégories: fh, sf, Auteur: Hidden Side, Source: Revebebe

    ... constitué un poids mort – si j’ose dire ! Simplement, il se refusait à m’impliquer dans son obsession, à me faire courir des risques imbéciles.
    
    Cet homme méthodique était pourtant loin d’avoir tout planifié. Il n’avait pas envisagé que l’émotion le rattraperait ce soir-là, comme il n’avait pas non plus prévu de se pencher sur moi et de m’embrasser. Après ma rebuffade – tardive, il est vrai – Alain, écrasé par le sentiment d’être un salaud, avait repris pied dans le réel. Se « jeter » sur moi alors qu’il persistait à croire son épouse en vie, c’était la tromper doublement. Avant de céder à ses pulsions, il lui fallait d’abord accrocher des certitudes à la pointe de ses regrets…
    
    Cet idiot avait donc précipité son départ, malgré la douceur de mes lèvres – ou plutôt, à cause de cela. Dès que je m’étais endormie, il avait rassemblé son équipement et s’était tiré en douce, verrouillant l’abri derrière lui. Vers dix-huit heures, après avoir remonté le quad en surface grâce au treuil, il était à pied d’œuvre. Il avait alors mis le cap au nord-ouest, se dirigeant vers le dernier endroit où trouver une personne en vie : Créteil-Soleil et sa morne désolation.
    
    Le ciel d’août, à peine voilé par quelques traînées nuageuses, lui avait paru immense, démesuré. La lumière ruisselait de toute part, ensanglantant de ses reflets mordorés l’immense cimetière qu’était devenu le monde. Aveuglé, il dut assombrir sa visière de plusieurs degrés. Après quarante minutes de slalom entre les ...
    ... tombes automobiles, Alain atteignit enfin les vestiges de l’énorme centre commercial, un plateau de béton craquelé, balayé par les vents. Des poussières iridescentes scintillaient dans les rayons du soleil ; la vague de feu avait déferlé ici au sommet de sa force. Un coup d’œil à son poignet lui confirma l’affolement du dosimètre.
    
    Son plan consistait à délimiter le champ d’investigation en zones distinctes, qu’il devait fouiller une à une, méthodiquement. Alain se rendait compte à présent que l’inspection des deux niveaux du parking nécessiterait à elle seule une petite armée. Partout, des squelettes grimaçants jonchaient le sol, amas grisâtres d’os dénaturés par les intempéries et les radiations, parfois encore recouverts de vêtements. Comment avait-il pu caresser l’espoir de retrouver la trace des siens dans ce charnier ?
    
    Il descendit enfin de son quad, fit quelques pas mal assurés. Des sanglots plein la gorge, il se laissa tomber à genoux. Bien qu’il transpirât à grosses gouttes, ce n’était pas la sueur qui embuait ses yeux. Après un long moment, il finit par se relever. Ne tenant aucun compte de ses réserves d’oxygène, il se mit à déambuler au hasard, raide comme un piquet. À chaque enjambée, ses semelles de Kevlar pulvérisaient les restes poreux de centaines de cadavres. À peine engagée, la mission de sauvetage tournait court.
    
    Cet endroit dévasté n’était qu’un champ de ruines parmi d’autres, une friche stérile à perte de vue, qui n’inspirait nul recueillement, ...
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