1. Hastings


    Datte: 01/06/2018, Catégories: nonéro, portrait, délire, Humour revebebe, Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

    Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… Ni les moins de trente ans d’ailleurs… En ce temps là, je n’envisageais nullement de devenir une star mais, livrant des pizzas dans les beaux quartiers de Paris, il m’arrivait parfois d’en rencontrer.
    
    Le 3 juillet 1973 donc, je sonnais à la porte du troisième étage d’un immeuble de la rue Voltaire, dans le onzième arrondissement pour livrer une quatre fromages, et je fis alors une rencontre qui allait bouleverser ma vie.
    
    Attention, un effort est nécessaire. Il faut tenter de visualiser… Je suis un jeune branleur de vingt ans dont la fac ne veut pas ; je suis tout maigre, j’ai les cheveux longs jusqu’aux épaules, totalement imberbe, toujours puceau, me posant encore parfois la question de mon orientation sexuelle. Bref, rien à voir avec la bête de sexe qui fait frémir mes lectrices d’aujourd’hui. Je ne ressemble à rien, je ne suis rien… Je livre des pizzas quatre fromages.
    
    La porte s’ouvre… Un type d’environ un mètre soixante-quinze ouvre la porte. Il est vêtu d’un jean et d’un vieux pull kaki avec des trous, une barbe de trois jours, et des cheveux en broussaille qui n’ont pas vu un peigne depuis des années. Stupeur ! Je le reconnais immédiatement. C’est lui ! C’est Vopicek !
    
    Il faut vous dire qu’à cette époque, Vopicek, c’est LE cinéaste dont tout le monde parle. Un palmarès éblouissant : Prix spécial du jury à Cannes pour son film « La bougie de Jeannette », qui montre pendant deux ...
    ... heures vingt-sept minutes une bougie en train de se consumer sur une musique d’Erik Satie. Ours d’or au festival de Berlin pour « Les culottes d’Irina », tourné en Super 8 et racontant la vie d’une femme de ménage de Joseph Staline, et surtout le Grand Prix de la critique de Téléramax pour son chef-d’œuvre « Handjob with my baby » qui raconte l’histoire d’une branlette interminable durant laquelle a lieu la crise des missiles de Cuba.
    
    Perte totale de moyens ! Je laisse ma pizza tomber sur le sol. Vopicek me regarde, bouche bée… Je lance alors piteusement :
    
    — Je suis désolé, Monsieur Vopicek… J’ai laissé tomber votre pizza.
    — Laissez tomber votre pizza, jeune homme…
    — Euh… c’est fait, Monsieur Vopicek.
    — Non, non… Je veux dire : on s’en tape de la pizza. Vous connaissez Robert de Boron ?
    — La mort d’Arthur ?
    — OUIIII ! IL CONNAÎT ! C’EST UN MIRACLE !
    — Euh… je ne comprends pas.
    — VOUS ÊTES GUILLAUME !
    — Je comprends encore moins.
    — Entrez, entrez mon jeune ami. Je vais vous expliquer…
    
    Et alors là, lecteurs de mon cœur, imaginez la scène. J’entre chez Vopicek avec les restes de ma quatre fromages ; je suis comme tétanisé par l’événement. Sur les murs du salon, il y a des portraits de stars internationales qui ont toutes tourné avec le Maître. Et d’entrée de jeu, il m’annonce :
    
    — Vous avez le premier rôle de mon prochain film.
    — Moi ? Mais je n’ai jamais fait de cinéma…
    — Vous êtes Guillaume ! Physiquement, j’entends… et vous connaissez Robert de Boron. Donc, ...
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