La falaise (1)
Datte: 04/05/2021,
Catégories:
Divers,
Auteur: Doogy Woogy, Source: Xstory
... que la mitrailleuse pointe sur une autre barge. Le vacarme continua, une éternité, quelques minutes. L’orage de métal tourna. Le soldat derrière l’arme fatale avait jugé que toute vie avait cessé dans cette embarcation, qu’il pouvait en vider une autre. Bertrand piétina les corps salvateurs. L’eau lui arriva à la taille. Il avait cent fois le temps de prendre une balle avant de parvenir à la plage. Il foula enfin le sable. Il s’allongea à l’abri ridicule d’un cheval de frise, le temps de reprendre son souffle.
Il observa tout autour de lui. La plage était jonchée de cadavres. Devait-il foncer tout droit ou progresser par étapes, ramper entre les corps ? Qui lui avait dit que la ligne droite menant d’un point A à un point B n’était jamais la meilleure solution ? Deux soldats stoppés dans leur course désespérée étaient retombés sur un cheval de frise, offrant une meilleure planque. Les balles traverseraient leurs chairs sans résistance, mais il ferait une cible moins évidente. Bien sûr, tout était relatif. Vu la cadence de tir, les Allemands pouvaient balancer des dizaines de pruneaux, tirer dans le tas et finir par le toucher. Trois balles sifflèrent lorsqu’il se rua derrière son objectif. Un déluge s’abattit autour de lui. Un projectile ripa sur le casque d’un des soldats qui le masquait. Se faire oublier. Prier pour que la poutre de métal suffise à détourner les tirs.
Bertrand reprit sa course en avant. Vingt mètres tout au plus le séparaient du pied de la butte. Il ...
... reconnut l’escarpement. C’était là qu’il s’était allongé, qu’il avait fermé les yeux comme Martha le lui avait demandé. Quel rôle jouait-elle là dedans, si elle en jouait un ? Il était tétanisé. S’il devait sa présence ici à Martha, il savait qu’il mourrait à l’endroit même où elle l’avait fait coucher. Éviter cette entaille dans cette fichue pente conjurerait le sort. S’il la contournait par la droite, il échapperait à l’attention des Boches. Pas sûr que ce soit un angle mort entre les deux blockhaus, mais c’était une chance à tenter.
Bertrand s’élança dans la côte. Il regretta vite d’avoir délaissé le sport. Il soufflait, manquait d’air. En temps normal il se serait arrêté là pour marquer une pause. Il n’avait pas ce luxe. Il jeta un coup d’œil en arrière, ne laissa pas son regard s’éterniser sur la plage : le charnier lui aurait scié les jambes. Il ne voulait que s’assurer d’avoir dépassé l’anfractuosité où Martha l’avait entraîné. Il reprit l’assaut de la pente. Du coin de l’œil il aperçut deux soldats courant dans sa direction en haut de la falaise.
— Merde, merde ! Comment se sert-on d’un fusil ?
Tous ceux qui participaient au débarquement avaient suivi un entraînement, mais lui avait accosté comme un cheveu sur la soupe. Il ne devait sa survie jusqu’ici qu’à une dose de chance effrontée. Mais s’il ne comprenait pas par quel artifice il était plongé au cœur de l’Histoire, il en était maintenant convaincu : c’était pour mourir. N’avait-il pas dit lui-même :Si je ...