L'île
Datte: 23/12/2020,
Catégories:
nonéro,
Auteur: HugoH, Source: Revebebe
... perdre pied ne le laissait pas en paix. Ainsi, donc, rallongeait-il la durée de ses trajets.
Les cours de la bourse étaient en baisse. Ce qui n’arrangeait pas ses affaires. Plusieurs opérations avaient échoué du fait du contexte, comme il aimait à dire, mais aussi d’erreurs de vigilance qui ne pouvaient avoir échappé aux gens avec lesquels il travaillait. Il avait du mal à se concentrer, du mal à écouter les conseils avisés de ses collaborateurs.
Les décisions n’étaient pas simples à prendre. Conflits locaux, catastrophes naturelles, inquiétudes des marchés. Mais rien de bien clair en définitive. Il voyait venir les informations sur ses écrans. Et se sentait de plus en plus isolé.
Peter insistait de plus en plus. De façon plus ferme désormais. Prends des jours. Tout le monde savait ce que ça voulait dire, non ? Et cela n’augurait rien de bon. Et cela ressemblait bien à un service puissant avant une volée gagnante. Mais à mesure que ses résultats s’effritaient, et que son comportement en étonnait plus d’un, Karl continuait de refuser avec fermeté les appels de pieds de son patron.
Non, je n’ai pas besoin de vacances, c’est juste un coup de pompe, tu me connais Peter, tu m’as déjà vu baisser la garde ? Ça fait quoi ? Dix ans qu’on travaille ensemble Peter ? M’as-tu déjà vu mettre un genou à terre ? L’as-tu seulement envisagé, bordel ?
Et il se mettait à boxer dans l’air un invisible adversaire, les joues creusées et les cernes profonds comme des tombes.
Deux ...
... semaines plus tard, Karl posait sa main sur le chèque conséquent qui accompagnait la lettre de rupture de contrat soigneusement pliée dans une enveloppe à l’en-tête de la société. Il quitta le bureau, un carton chargé dans les bras, sous les regards neutres de ses collègues. Satisfaits ? Dans la glace de l’ascenseur, il observa son ombre amaigrie et raide. Quand même, un pâle sourire venait tempérer ce triste tableau. À l’extérieur, il leva la tête et regarda un long moment la tour sombre éventrer les nuages. Des gens le bousculaient, une marée humaine qui le ramena jusqu’à chez lui. Plus de boulot, situation inédite. N’avait jamais connu ça.
Il resta chez lui. Resta cloîtré. Ne répondit pas au téléphone. Pourquoi avait-il accepté la proposition de Peter ? Pourquoi ne s’était-il pas accroché ? La vapeur aurait pu être renversée, il en était capable. C’était une somme conséquente certes mais sa vie venait de s’écrouler. Ce n’était pas une question d’argent, non. La famille était à l’abri du besoin. C’est juste qu’il n’avait plus de fonction, que toute utilité avait fui sa personne. Pourtant, étrangement, il n’en éprouvait pas vraiment de tristesse.
Cet abandon n’était pas pour lui déplaire. Des sentiments contradictoires en lui, des courants froids et souterrains qu’il avait jusqu’ici négligés se réunifiaient, s’entremêlaient jusqu’à offrir un visage unique. Eût-il le sentiment d’être alors lui-même, il n’aurait su le dire mais plus tard, poussant le moteur de son petit ...