1. L'île


    Datte: 23/12/2020, Catégories: nonéro, Auteur: HugoH, Source: Revebebe

    ... sur sa nuque. Karl sourit. Karl s’étire. Imagine déjà, dans la lueur mauve du lointain, la bonne soirée qui s’annonce. Ces repas sont tout bonnement incroyables. Certaines fois, quand il mange des brochettes de poissons ou de viandes blanches divinement secondées d’un filet d’huile d’olive, le goût le saisit tant qu’il imagine les fluides essentiels se répandre dans leurs corps à tous les quatre, lustrer, briquer, brosser leurs tripes. Les protéger. Et dans les échos de Bach ou de Ravel, il secoue la tête sans parvenir à ôter son sourire béat. Regardez-les, voyez sa famille qui se régale, se pourlèche les babines des bonnes grâces de la planète.
    
    — Sophia, Sophia, lance Karl.
    — Oui chéri ?
    — Sois gentille, mets une casquette à Léane. Il fait encore très chaud.
    
    Plus tard, alors que le soir tombe sur l’île, la mer s’installe lentement dans la nuit comme dans un édredon moelleux. Ils ont dîné tôt, profitant du couchant sur la terrasse. Puis les enfants ont quitté la table avec l’accord de Sophia. Qu’ils jouent, qu’ils jouent ces enfants bénis des Dieux. Karl les observe. Les regarde se courir après, communiquer avec ces petits mots incroyables.
    
    « Je ne les aime pas parce qu’ils sont bons, mais parce qu’ils sont mes petits enfants. »
    
    — Je ferai le tour avant que la nuit tombe, dit-il en vidant son verre de vin blanc grec.
    
    Ne s’y était toujours pas fait. Pas mauvais pourtant. Mais quand même.
    
    — Bien chéri, fais attention au mouillage de la digue. L’alarme ne ...
    ... fonctionne plus.
    
    Karl blêmit.
    
    — Sinon il faudra appeler… continue Sophia.
    — Je ne préfère pas, coupe Karl nerveusement.
    
    Il lui est très compliqué d’accepter une présence étrangère chez lui, fût-elle professionnelle et locale. Devant l’air interdit de sa femme, il ajoute :
    
    — Mais s’il le faut.
    
    Elle sourit.
    
    — Regarde-les Sophia. Regarde comme ils sont beaux.
    — L’air leur réussit bien.
    — Et à toi aussi.
    
    Il se ressert un verre.
    
    — J’aime cet endroit, sourit-elle. J’aime nous savoir tous ici.
    — Je me sens bien aussi, je n’ai plus pris une seule pilule depuis que nous sommes arrivés, tu sais ? Mais maintenant que tu en parles, je me porterai encore mieux quand l’alarme sera réparée.
    
    Il avalait des kilomètres d’info. Roulait un long moment dans sa voiture avant de rejoindre le quartier d’affaires. Plus les jours passaient et plus le trajet s’étirait. Belle voiture. Confortable et moderne. Du genre qu’il pouvait se payer. Du genre européen. Du genre allemand. Ces gens-là étaient capables de créer de telles merveilles, de donner un tel style, une telle légèreté à la matière brute. Et il se disait, « Comment peut-on décimer tout un peuple et fabriquer des Mercedes classe E de ce calibre » ? Ça le dépassait complètement.
    
    Mais il aimait encore ces choses que l’argent lui offrait. Et il s’y accrochait. Parce qu’il avait toujours adoré ça et que la prégnance de ce penchant signifiait qu’il était toujours lui-même, quand en son for intérieur l’impression de ...
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