Michel et Martial
Datte: 22/12/2020,
Catégories:
hhh,
copains,
vacances,
bain,
bateau,
amour,
cérébral,
hsodo,
historique,
Auteur: Claude71, Source: Revebebe
— Ils ont gagné !
Michel exultait. Il était passé au kiosque pour acheterLe Populaire et, pour une fois,l’Humanité. Il parcourut rapidement la une de Blum :
Une victoire historique, les socialistes devaient gouverner. Blum l’affirmait. Pour Michel, jeune instituteur à Boulogne, c’était le plus beau jour de sa vie. Il s’en souviendrait, du 4 mai 1936 ! Non seulement parce qu’il fêtait son vingt-cinquième anniversaire mais surtout parce que, pour la première fois, un socialiste allait devenir Président du Conseil.
Dans la cour de son école, tous ses collègues en parlaient. La joie se lisait sur leurs visages. Le directeur, un radical, les rappela à l’ordre :
— Messieurs, la neutralité de l’École républicaine est sacrée ! Pas de politique ! Vos élèves vous attendent.
Michel fit entrer sa classe de CE1. Ils avaient bien du mal à se concentrer ce matin. Dans les familles ouvrières de Boulogne, on avait dû en causer, de cette victoire. Il haussa le ton pour rétablir le calme et toléra, tout de même, quelques bavardages. Il avait hâte que cette journée se termine. Il n’avait pas vraiment le cœur à l’ouvrage.
Le soir, comme tous les soirs, il se rendit au Bar du Coin pour dîner. Célibataire, il n’avait droit qu’à une chambre dans les combles de l’école. Ce bistrot était donc « sa cantine ». Il y avait ses habitudes. Les patrons, Josette et Henri, le tutoyaient. Les clients étaient presque tous des copains. Tous aimaient sa simplicité. Pour un instituteur, il ...
... n’était pas fier. Il rendait des services, rédigeait des lettres, débrouillait quelques affaires épineuses avec les huissiers, des propriétaires récalcitrants, l’administration tatillonne.
D’origine modeste - ses parents étaient métayers - il avait eu la chance de poursuivre ses études grâce au vieil instituteur de son village. L’école avait été sa planche se salut. Éclairer le peuple était sa vocation et son devoir.
Tout aurait été parfait si Michel ne cachait pas derrière ses grands yeux clairs un lourd secret, un conflit intime. Depuis son adolescence, il se sentait attiré par les hommes. Il avait bien essayé de se défaire de ce que les autres considéraient comme un vice. Il s’était plongé dans les études pour échapper à ses tourments. Un camarade de l’École normale, inverti comme lui, l’avait aidé à surmonter cette épreuve. Ensemble, ils avaient vécu leurs premiers émois sexuels. Michel, désormais, s’acceptait. Pourtant, se cacher pour aimer ne coïncidait pas avec l’image qu’il se faisait de la vie et de la morale républicaines.
Quand il entra dans la salle enfumée, il fut accueilli par desHourra ! On a gagné ! Tu payes un pot ! C’est ta fête aujourd’hui ! Il s’exécuta de bonne grâce et souffla les bougies posées sur la belle tarte aux pommes que Josette avait préparée en guise de gâteau d’anniversaire. Il eut même droit à un cadeau. Ils s’étaient cotisés pour lui offrir un stylo plume. Il était ému par tant de chaleur humaine. Pour tous ces gens pauvres, parfois ...