Les Ormeaux
Datte: 16/08/2020,
Catégories:
Voyeur / Exhib / Nudisme
exercice,
aliments,
Auteur: Bordaldea, Source: Revebebe
... certaine manière, en devenant maître-queux, il continuait la tradition familiale. Il aurait pu tourner pompier ou pyromane. Il devint cuisinier comme sa mère qui transmuait leur quotidien en un régal festif. Celle-ci suait sang et eau devant le foyer et son père tout pareil. Mais l’enfant ne retenait de leurs efforts que la passion à l’œuvre et sa chair s’enflammait pour ces goûters perpétuels où l’éclat de l’or rivalisait avec les plaisirs gustatifs et olfactifs. Une enfance bercée de joyaux et de fragrances s’accommode mal de l’ordinaire et, de fait, l’adulte qui couvait dans l’adolescent étourdi par les richesses terrestres ne put que s’abandonner à ces penchants grisants qui avaient guidé sa jeunesse. Sa vie serait un désir excité. Surtout celui des autres.
Il gagna sa première étoile en laissant libre cours à sa fantaisie, courtisa la seconde à grand renfort de saveurs nacrées et de mondialisation éclectique. Voici un an, il s’était retiré en la voyant filer. Si proches de l’argent, si molles et si communes, les étoiles lui paraissaient bien fades tandis que le gagnait la conviction profonde de tenir enfin son eldorado.
Mathilde, dont il avait fait sa femme et son amour singulier, lui avait ouvert la voie sur fond de JT où Pernaud vantait les aubaines des grandes marées et des pêcheurs à pied aficionados de celles-ci. Mathilde avait dit :
— Putain ! quelle métaphore de l’impudeur ces ormeaux, on dirait vraiment le sexe d’une femme !
Elle en avait souri ...
... candidement, comme font les femmes qui rougissent rarement de rencontrer des analogies fortuites et naturelles de leur intimité. Il avait pensé moule, coquillage, sexe, moule, comme font les hommes qui sont faits comme ça, attachés au langage d’une mâle promiscuité dont ils ne sentent pas la vulgarité. Mais ses yeux qui voyaient si mal s’étaient posés sur l’image du coquillage que brandissait victorieusement un Breton. À son sang qui n’avait fait qu’un tour, s’excitèrent simultanément un désir et une certitude : l’ormeau n’était pas la moule. L’un promettait ce que l’autre bradait. L’un entrouvrait le mystère que l’autre démystifiait pornographiquement. L’art et la viande ou, songea-t-il pour la première fois, l’érotique de la cuisine.
Le lendemain, il était au marché. À chercher des ormeaux. Et, à peu de temps de là, chez lui, à les envisager de près, impatient de les cuisiner pour leur faire cracher le morceau qui couvait en lui. En les observant, il savait qu’il regardait son rêve d’enfant, quand l’or que domptait son père lui avait procuré un éblouissement définitif. Lui, qui ne voyait que des formes diaprées, indistinctes de couleurs mais où subsistait, dansait toujours un miroitement qui lui rappelait sa vue d’avant l’accident, décela dans le froissement des chairs, dans les replis et les anfractuosités du mollusque, dans les convulsions ultimes du muscle, dans les stries et les bourrelets boursouflés, le souvenir des paroles qui avaient bercé son enfance. Le mot était là, ...