1. Le procès du singe


    Datte: 25/07/2020, Catégories: nonéro, historique, Auteur: Brodsky, Source: Revebebe

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    Scène 1
    
    (Caleb, Darrow)
    
    Dans la salle à manger de l’hôtel, Darrow est affalé dans un fauteuil, les yeux perdus dans le vague. Une table basse devant lui. Caleb est derrière le bar. Voix off de Caleb :
    
    On a raconté bien des choses sur le procès du singe qui eut lieu chez nous, dans notre petite ville. Dayton et le Tennessee sont devenus aujourd’hui pour les intellectuels new-yorkais une sorte de symbole du crétinisme, peuplés de rustres et de bigots créationnistes. On raconte également que l’animosité entre Darrow et Bryan était telle que ce dernier n’a pas supporté de se faire ridiculiser lors du procès et qu’il en est mort peu de temps après. Ça, c’est la version des gens de la ville… La version d’ici est différente, mais tout aussi fausse : ridicule ou pas, Bryan avait gagné le procès, et Scoope, l’instituteur qui avait osé braver la loi en enseignant les théories de Darwin, avait été condamné. Quant à Darrow, il était le Diable en personne… Il avait débarqué chez nous après avoir défendu des communistes, des nègres, et les frères Loeb, deux assassins homosexuels juifs qui avaient kidnappé et torturé leur cousin avant de le mettre à mort. « Œil pour œil, dent pour dent. » disait la Bible. Et pourtant, Darrow avait sauvé leur peau… Quand je l’avais vu entrer dans notre hôtel avec ses deux valises et ses ahurissantes bretelles roses, je n’avais pas pu me résigner à croire que c’était à cela que le Démon ressemblait. Mais mon père m’avait mis en garde : « ...
    ... La plus grande ruse du Diable, c’est de faire croire qu’il n’existe pas. » Ce que les historiens ne racontent pas, c’est cette nuit dont je fus le témoin et qui marqua à jamais ma mémoire. Elle contredit les deux versions, mais tout le monde s’en moque, finalement…
    
    Darrow : Petit… apporte-moi un whisky, s’il te plaît.
    
    Caleb : Oui, Monsieur Darrow.
    
    Darrow : Merci. Et monte donc te coucher ; la nuit va être longue, et tu dois être fatigué.
    
    Caleb : Vous attendez quelqu’un, Monsieur Darrow ?
    
    Darrow : Oui… J’attends un fantôme du passé.
    
    Caleb : Personne n’a téléphoné pourtant, Monsieur Darrow.
    
    Darrow : Oh, crois-moi, il va venir. Je le connais trop bien… Allez, au lit jeune homme !
    
    Caleb : Cela vous ennuie si je reste en salle, Monsieur ?
    
    Darrow (en souriant) : Non… À une condition : cesse de m’appeler « Monsieur ».
    
    Caleb : Maître ?
    
    Darrow : Appelle-moi « Darrow », comme tout le monde. Et apporte la bouteille, ainsi qu’un autre verre : mon visiteur en aura besoin aussi.
    
    Caleb : Bien Mons… Darrow.
    
    Darrow : Je te vois m’observer tu sais… Vas-y, pose donc les questions qui te brûlent la langue.
    
    Caleb : Je ne voudrais pas vous ennuyer…
    
    Darrow : Tu m’ennuieras toujours moins qu’un journaliste.
    
    Caleb : C’est vrai que… vous ne croyez pas en Dieu ?
    
    Darrow : Dieu… c’est une hypothèse sur laquelle je n’ai pas de certitudes. Par contre, je ne crois pas aux bêtises qu’on raconte dans la Bible, ça non.
    
    Caleb : Et c’est pour cela que vous ...
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