La mère (1)
Datte: 10/07/2020,
Catégories:
Divers,
Auteur: Jieff, Source: Xstory
La mère
La lourde grille se ferme derrière moi. Enfin, j’y suis !
J’ai cherché longtemps. Des mois à errer en démarches longues et fastidieuses de mairies en bureaux du chômage, de préfectures en communautés de communes, tout cela au pluriel et plusieurs fois, of course ! De couloirs en portes et de portes en couloirs, j’ai vu cent fois des papiers à en tête de l’EPCI. J’ai fini par en comprendre la signification éminemment poétique : Etablissementpublicdecoopérationintercommunales. N’en jetez plus ! Un jour, je parvins même à le dire d’une traite, sans respirer. L’administration avait pris tout son temps pour se décider et je n’étais pas étonné qu’avec des noms pareils ce soit si compliqué chez eux. Le nombre de formulaires que j’avais remplis faisait craquer mon horrible serviette de plastique aux couleurs de mille bureaux dédiés au chômage et à l’emploi.
Mais, j’avais beau me démener comme un diable, il manquait toujours un papier, parfois deux ou trois.
- D’accord… M. Mais, s’il vous plait madame, dites-moi au moins lequel ?
Très rarement une heure plus tard, elle revenait avec la réponse..
— Le rose, voyons ! Le double rose qu’on vous a remit à votre arrivée en France.
— M.Mais… ! Madame…. C’était il y a cinquante sept ans !
— Demandez copie à votre bureau d’enregistrement d’arrivée. Au suivant !
Ma situation devenait dramatique. Je n’aurai pas tenu un mois de plus sans me retrouver à la rue. Pourtant en vrai fils du désert et de père ...
... alcoolo, j’avais appris depuis longtemps à me contenter de très peu. Aujourd’hui, après six mois sans gaz ni électricité j’avais vraiment besoin d’un minimum.
L’annonce succincte disait : " Urgent. Maison de retraite cherche jardinier capable de menus bricolages et travaux divers. Expérience exigée. S’adresser à la Préfecture "
Urgence ? L’administration et moi n’y donnions pas tout à fait le même sens. Il me fallut une heure pour écrire l’adresse sur l’enveloppe. Quelques années à l’école m’avaient appris à parler et lire le français très correctement et sans trop d’accent mais l’écriture administrative c’était une autre paire de manches et celle-ci bien plus complexe.
Je suis Mo’Mo, Touareg comme on nous appelle ici. Je suis venu du Mali en France avec mon père, j’avais douze ans. A l’exception du sable, je ne me souviens de l’Afrique qu’avec difficultés. A dire vrai, je m’en fiche. Je me sens bien ici. Oubliées les traditions, les rituels, toutes ces contraintes à respecter, obligé de se surveiller sans cesse pour ne pas fâcher les ancêtres, les imams et tous leurs sbires.
A peine sur le bateau, mon père m’avait mis en garde contre ce pays de mécréants. Pourtant, après quatre ans et demi à l’école, je quittais sans regret son emprise tyrannique, pensez donc il m’interdisait de me branler. Je décidais d’aller gagner et vivre ma vie à moi.
Le jour où je partis pour Toulouse je ne pleurais pas plus que lui, il pleuvait.
Aujourd’hui, je ne suis plus jeune et cette ...