1. Chronique d'une chute annoncée


    Datte: 12/06/2020, Catégories: amour, nonéro, amourdram, Auteur: Lilas, Source: Revebebe

    ... clignote plus, le répondeur n’attend plus, rien n’existe plus, plus rien. Je fais comme sielle n’avait pas téléphoné, comme si elle n’existait pas, elle aussi…Je n’existe pas,je n’ai plus de corps… Sous mes paupières closes, c’est si facile de s’imaginer… s’imaginer…
    
    Mes pensées volent, s’éparpillent dans toute la pièce ; faire du café, grignoter un biscuit rassis qui doit traîner quelque part, m’habiller peut-être, et plus improbable, me laver. Non. Je ne me laverai pas. En fait, je ne me lèverai pas.
    
    Pour quoi faire, pour qui ?
    
    Six ans. J’avais six ans quand je l’ai rencontrée. Elle était plus jeune que moi, d’un an, pour être exact, mais je l’ai aimée dès le premier regard, tout de suite. Je l’ai protégée, je l’ai bercée, je l’ai attendue, toute ma vie, sans faillir… Je me souviens de ses yeux bruns, si malicieux… Ils pétillaient quand je m’approchais d’elle ; une sorte de défi, de la provocation, de l’incertitude, peut-être… puis leur éclat s’est adouci et j’ai alors su qu’elle m’aimait… Plus tard, quand on a eu l’âge, c’est du désir qui brillait au fond de ses yeux si tendres, et…
    
    On dirait un moustique, ou encore une de ces bestioles qui ressemblent à des tiges, comment ça s’appelle déjà ? Il faudrait quand même que je plâtre cette fissure dans mon plafond, ça m’empêche de me concentrer.
    
    Quelle heure peut-il être ? Si j’ouvre les yeux, je le devinerais bien à la position du soleil et à la couleur du ciel, mais si j’ouvre les yeux… mes larmes vont glisser ...
    ... de ces globes si sensibles, et elles vont rouler sur mes joues jusqu’aux oreilles, et là, c’est vraiment désagréable. Je déteste avoir de l’eau dans mes oreilles, ça chatouille, ça gratte, c’est très… Ah oui, ça s’appelle un phasme, cet insecte, oui, c’est ça…
    
    …qu’est-ce qu’elle peut bien me vouloir ? J’ai arrêté de l’appeler, il y a très longtemps, je ne comprends vraiment pas pourquoi elle insiste comme ça.
    
    Je ne veux voir personne, je ne veux écouter personne… et pourtant, il faut que je sorte ce soir, je n’en ai plus, il faut que je retourne le voir…
    
    Bam ! La porte a claqué derrière moi, ça m’a fait un coup au cœur. J’espère que la bonne femme d’à-côté n’a rien entendu, elle vient toujours m’emmerder, me demander comment je vais, et patati et patata ; à chaque fois, j’ai envie de l’envoyer au tapis, de la battre, et de la contempler ensuite, morte sur le seuil de ma porte, avec les larmes qui bouillonnent dans mes yeux, mes poings serrés, et ce vide, oh ce vide insupportable, cette douleur au fond du cœur ! Ce vide si lourd dans ma poitrine, si grand, si exécrable, ce vide qui gonfle, qui enfle ma souffrance, cette dimension inutile, amère, indifférente, qu’a prise ma vie ! Ma si misérable vie…
    
    En tout cas,il m’en a fourni pas mal cette fois-ci. Je lève les yeux. La fenêtre est restée ouverte toute la journée. La lune, mince croissant pâle, glisse dans la nuit d’un air impassible, elle semble même me narguer avec son menton pointu, son sourire grinçant. Aucun ...