Chronique d'une chute annoncée
Datte: 12/06/2020,
Catégories:
amour,
nonéro,
amourdram,
Auteur: Lilas, Source: Revebebe
Mourir. La plupart des gens ont peur de mourir. Pas moi.Que savent-ils de la mort ?
Je déteste me noyer dans la foule. Mais quand j’ai besoin de sortir, je ne peux parfois pas faire autrement. On ne sait pas à l’avance si le quartier va être bondé ou désert. À moins qu’on ne soit samedi après-midi au milieu de la rue la plus fréquentée du centre-ville.
Nous ne sommes pas samedi après-midi. Alors pourquoi y a-t-il autant de monde ?
Je l’ignore, mais ça m’ennuie terriblement.
Tout à l’heure, je me suis réfugié sous le portique d’un immeuble. Depuis je regarde le flot humain couler sur le trottoir, bien à l’abri. J’ai des frissons dans tout le corps. Et si je croisais quelqu’un ? Je veux dire, quelqu’un que je connaisse ? Que dire, que faire ? Il faudra que j’attende la nuit, désormais.
J’aimerais être ailleurs.
Je suis ailleurs.
Mon monde est merveilleux, riche en couleurs. J’ai l’impression de gravir une colline, ou plutôt, une montagne, une grande, une énorme, le mont Everest peut-être ! Le vertige ! Voler dans un ciel pur, bleu, pas un nuage, les rayons radieux d’un soleil d’été dessinant sur le sol, bien loin sous moi, mon ombre filante.
Je suis ailleurs.
La chute, évidemment.
J’étais grisé, là-haut dans l’espace de mes pensées ; oh, pourquoi redescendre, pourquoi si vite ?
Je ne peux rien y faire ! Je ne peux rien retenir, rien arracher aux délices de mon extase, je ne peux rien saisir, rien garder ! Horreur ! Désespoir ! Ma bouche est ...
... tordue dans une grimace, je sens que j’émerge, malgré ma rage.
Non, non… mais qu’importe ma volonté quand mon corps soupire de soulagement ? Pour lui, c’est une bénédiction, et pour mon pauvre esprit, c’est la déchéance totale ! Pourquoi mon corps n’obéit-il pas à mon esprit ? Non, plutôt, pourquoi mon corps et mon esprit ne font-ils pas une unité, un seul être ? Je cours à ma perte, je cours à ma ruine, avec ce corps qui rejette mes voluptés, et de toute la force de mes pensées, j’essaie de rester là-haut, rester… rester…
Trop tard, évidemment. La chute était prévue, la chute était annoncée, même…
Je suis tombé dans des abysses insoutenables, je m’y suis noyé, mille, dix mille fois peut-être… Et maintenant, la surface, le soleil, c’est mon corps qui prend le dessus, ah ce terrible corps, cette enclume, ce boulet ! Rage, rage !
Et voilà ! Où est mon monde, où est ailleurs ? Je cligne des yeux dans la lumière pâle de l’aube ; j’ai laissé ma fenêtre grande ouverte sur la Lune, cette nuit ; mais à présent, seuls ce ciel rose et ce disque orange éblouissent mes yeux blessés, et cette lumière, cette lumière… trop pure, trop claire, trop cruelle…
Où est mon ailleurs ?
Ma mère a téléphoné pendant mon long voyage… Je n’ai pas écouté mon répondeur, mais je sais que c’est elle ; la lumière rouge des messages clignote, insistante, si horripilante.
Je l’ai vue il y a si longtemps déjà, mais j’ai fermé les yeux. Je ne la vois plus. Je l’ignore. La lumière rouge ne ...